A l'encre de ton coeur

Chapitre 17 : Rose

--Granny ?

Je me redresse d'un coup, paniquée. L'effluve du pain perdu et de la cannelle emplit mes narines et l'espace d'un instant j'ai l'impression d'être de retour à la maison. Que l'odeur des cuisines est venue s'immiscer dans ma chambre pour me sortir du lit.

Mais la lumière vive à travers la baie vitrée, la couleur des murs, et les bruits des oiseaux qui chantonnent dans les feuilles des arbres me ramènent à une réalité plus douce. San Francisco, le loft et... ma vie ici. Je ne suis pas dans ma chambre, mais sur le sofa du salon où je me suis écroulée de fatigue. Dans ses bras, à lui.

Son parfum flotte dans la pièce entre celui du pain grillé et des œufs brouillés.

Je me lève et m'approche du coin cuisine alors que Jack, encore dégoulinant, me tourne le dos, un énorme casque audio vissé sur les oreilles. Il paraît très absorbé par la préparation du petit déjeuner, une serviette autour des hanches et une autre sur ses épaules. Ses cheveux gouttent abondamment, signe qu'il est sorti de la salle de bain depuis peu. Coupé du monde par la musique qui s'évade de son casque, il n'a pas remarqué ma présence. J'en profite pour détailler ses tatouages. Ce matin, je les vois différemment, et les yeux de l'immense tête de mort dans son dos, d'habitude si menaçants semblent presque esquisser un sourire.

Je m'installe sur un tabouret, face à l'îlot central, et continue de le mater comme une groupie en manque. C'est plus fort que moi. Après cette soirée, je ne peux m'empêcher de le regarder autrement. J'imaginais que derrière ce tas de muscles colorés il n'y avait que du vide et de la méchanceté, mais je constate avec plaisir qu'il y a bien un cœur qui bat. Pourquoi se cache-t-il derrière ce masque de dureté ? Pourquoi cherche-t-il à éloigner tous ceux qui lui témoignent de l'intérêt ?

Perdue dans mes pensées, je me balance sur le tabouret, m'accrochant au rebord du plan de travail comme le ferait un enfant. Granny me grondait tout le temps quand je faisais çà. Elle disait que je me briserais les os si je tombais. Pile au moment où je me remémore ces souvenirs, je sens les pieds du siège qui ne répondent plus à mes tentatives de rétablir l'équilibre et je m'étale dans un fracas assourdissant. Mes mains déjà abîmées par mes exploits de la veille me font mal et le bas de mon dos qui vient de heurter le sol me laisse échapper un cri de souffrance qui se superpose au bruit de ma chute. J'ai à peine le temps de relever les yeux que Jack apparaît dans mon champ de vision, surpris et inquiet.

— Putain, Rose ! Ça va ?

Je grimace et tente de me redresser, mais la douleur dans mon dos est vive. Ma seule réponse se meurt dans ma gorge, car je mords mes lèvres si fort que je vais finir par les faire saigner.

— OK, c'est le dos ? Laisse-moi regarder.

Je n'ai pas le temps de répliquer qu'il est déjà en train de relever mon tee-shirt sur ma chute de rein pour vérifier que je n'ai rien de grave. Il palpe mes lombaires et me demande si j'ai mal. Malgré la souffrance vive qui irradie, je ne peux pas m'empêcher de frissonner quand sa main fraîche entre en contact avec ma peau brûlante.

— C'est là n'est-ce pas ? C'est rouge, j'espère que tu ne t'es pas pété le coccyx !

— Ça va, la douleur commence à s'atténuer...

— Sérieux Rose, tu veux ma mort ? À ce rythme, tu seras en fauteuil roulant avant la fin de la semaine ! Je vais dire quoi à Dan moi ? Je suis censé veiller sur toi bordel !

Sa tirade m'arrache un rictus amusé. Il n'a pas tout à fait tort, je ne l'ai pas épargné depuis deux jours ! Je baisse les yeux, plus hilare que honteuse, et relève mon attention vers lui. Il me sourit franchement et j'explose de rire alors qu'il me pince la joue en guise de représailles. Nos rires s'emmêlent et, pour la première fois, j'ai l'impression d'être face à quelqu'un d'autre. Je n'ai pas le temps de profiter de cet instant que la porte d'entrée derrière nous s'ouvre et que Siri apparaît. Son profil passe de l'étonnement à l'amusement avant de porter sur nous deux un regard suspicieux.