A l'encre de ton coeur

Chapitre 1 : Rose

Juin 2015

Fixant mon billet d'avion électronique acheté en catastrophe cette nuit, je triture avec nervosité mon téléphone portable. Ma décision est prise et je ne reviendrai pas dessus. Quitter Skye. J'en ai besoin, c'est devenu vital pour moi de m'éloigner de l'ambiance qui me ramène à ces quelques minutes qui ont fait basculer ma vie dans le chaos. Il doit bien y avoir sur cette terre un endroit où je trouverai la paix? La nausée menace de me submerger à chaque seconde et dans chaque regard que je croise j'ai l'impression qu'il est écrit sur mon front « pauvre fille » ou mieux « pauv' conne ».

Comment ai-je pu être aussi naïve ? Comment ai-je pu me faire avoir à ce point ? La trahison a un goût amer...

Qui était au courant ?

M'isoler avant de fuir, raser les murs pour ne pas risquer qu'on m'empêche. Je n'ai écouté aucun des messages que ma meilleure amie Lindsay m'a laissé et je ne parle même pas de ceux de Richard. Encore moins ceux de ma grand-mère qui n'est pas en reste. Hier soir, j'ai juste eu le temps d'embarquer l'essentiel de mes affaires avant de passer la nuit à l'hotel et de rejoindre l'aéroport tôt ce matin. Un seul coup de fil à mon frère et je chopais le premier vol, décidée à plaquer ma vie ici.

A quel moment me suis-je perdue?

J'ai pourtant suivi les consignes à la lettre, de l'éducation soignée à la scolarité exemplaire, des bonnes fréquentations et un parcours tout tracé. Cela ne devait pas se passer comme çà, il y a erreur sur l'ordre des chapitres et les protagonistes ! Moi j'étais la fille sage, bien élevée, de bonne famille, celle qui ne fait pas de vagues et qui se marie avec le beau gosse gentil. Celle qui se marie, vit heureuse et fait beaucoup d'enfants.

J'aurai dû savoir qu'un seul grain de sable peut tout enrayer.

Où est passée la petite sauvageonne qui courait dans la lande, se piquant dans les chardons, fuyant les cours de maintien ?

Ça m'éclate à la tronche. Cette fillette a perdu sa boussole le jour où les personnes les plus importantes de sa vie l'ont abandonnée à ce monde. Et juste pour les rendre fiers elle s'est laissée happer par le poids des attentes familiales.

Scrutant la salle d'embarquement, je prie pour que rien ni personne ne m'empêche de m'envoler. Ni Lindsay, ni Richard, mon futur ex fiancé ni même mes grand-parents. J'ai besoin de prendre le large, d'oublier que je ne sais plus à qui, à quoi me raccrocher et que tout à coup je doute de tout et de tout le monde.

La claque que j'ai prise hier soir a comme qui dirait déclenché un tsunami. J'en sens encore la brulure sur ma peau.

J'ai beau tenter d'essayer de reprendre mon souffle, j'étouffe de colère, de honte, incapable de me raisonner. Qu'est-ce que j'ai fais ou pas fait ? Des étoiles dans les yeux à 20 heures et des larmes à 23 heures...

Cette nuit aurait dû être teintée de magie et d'inoubliable, dans le bon sens du terme. Au lieu de ça, les draps froissés n'étaient que le triste résultat de mes crises de larmes et des images cauchemardesques qui me hantent. La seule évidence, c'est que j'ai besoin de voir Danny, mon frère, besoin qu'il me serre dans ses bras, qu'il me câline, me rassure. Et j'ai également besoin de laisser mon quotidien derrière moi, d'y voir clair. C'est finalement peut-être lui qui a eu raison : quitter le cocon familial aussi rassurant qu'étouffant.

Le hall de l'aéroport s'agite et la voix robotisée annonce l'embarquement du vol à destination de San Francisco. Je reste comme absente de mon propre corps, spectatrice passive, l'esprit complètement embrumé.

Malgré moi, le visage de Richard s'impose dans ma tête et quelques larmes rebelles dévalent mes joues à peine séchées de ma précédente crise de nerfs.