Chapitre 19 : Jack

1K 86 40
                                    


1er Juillet 2021

En venant vivre ici, Mamina voulait alléger ses vieux jours. Elle ne se sentait plus capable d'entretenir la grande maison héritée de mes arrière-grands-parents et située dans un très beau quartier de San Francisco. C'est dans cette maison qu'elle a grandi. Puis ma mère.

Pour Lucy et moi, c'était devenu un refuge, un paradis.

Ici, j'ai réappris à sourire, découvrant, à 13 ans, le confort d'un quartier calme, d'une famille sécurisante, d'une école où on se fait des amis. J'ai un temps eu la possibilité d'être un enfant de mon âge, comme les autres. J'ai trouvé un substitut à l'amour qui me faisait défaut.

Moi qui croyais qu'on ne pouvait pas manquer de quelque chose qu'on n'a pas eu...

Mais quand on vous offre de l'espoir, le pire, c'est le moment où l'on vous le reprend.

Je n'ai pas aimé qu'elle veuille se débarrasser de cette maison, mais je ne m'y suis pas opposé. Chaque fois que je passais dans un angle du couloir, j'imaginais voir débouler Lucy avec son skate sous le bras, la bulle de son chewing-gum prête à lui éclater au visage, ou encore mon grand-père, les mains pleines de suie. J'entendais leurs rires dans le jardin...

Il était temps de laisser les fantômes derrière nous...

Ici, à l'écart de la ville, dans ce quartier, spécialement pensé pour les « séniors », elle aura toujours quelqu'un pour veiller sur elle, gérer une urgence, qu'elle soit médicale ou technique et je dois bien avouer que ça m'ôte un poids important des épaules. Même si je continue de m'occuper personnellement de tout un tas de petites réparations, en cas d'urgence, elle n'est pas seule.

Terminant ma tâche, je reviens sur mes pas, près du petit patio où j'ai laissé la furie et Mamina, mais l'endroit est désert, il ne reste que les biscuits et les verres presque vides. J'attrape quelques sablés que je dévore deux par deux. Je n'ai pas vu le temps passer et il est plus de 4 heures de l'après-midi. Je me demande ce qu'elles font, pourquoi Mamina ne m'a pas apporté de sandwich, lorsque j'entends son rire provenant du salon.

Une bouffée de chaleur m'envahit. Douce, agréable, apaisante. Il y a si longtemps que je ne l'ai pas entendue rire d'aussi bon cœur...

Je m'approche pour comprendre les raisons de son hilarité, mais les éclats de rire ont cessé. Je ne franchis pas les deux marches et reste en retrait, apercevant à travers les voilages le visage de la furie au-dessus d'une de mes maquettes. Ses grands yeux verts détaillent chacune des parties de la goélette avec concentration. Elle en fait le tour comme fascinée, tout en posant des questions à Mamina.

— C'est incroyable ! Tellement réaliste ! Il y a beaucoup de petits détails. Il doit falloir beaucoup de patience pour réaliser une telle pièce...

Mamina sourit, fière de montrer mes réalisations.

— Et le plus beau est là-bas, dans la vitrine.

Elle adresse un signe de tête à Rose dans la direction où est exposée ma plus belle réalisation. Elle s'éloigne alors de la maquette qu'elle était en train de fixer pour s'approcher de la vitrine.

À un mètre, elle s'immobilise.

— Mais c'est un Penduick !

Une partie de moi voudrait avoir mal compris mais l'autre prend l'ascendant, laissant un « o » de surprise déformer ma bouche. Je sens le tumulte dans ma poitrine quand elle caresse la maquette du regard, envoûtée. J'ai beau tenter de chasser toute ces sensations, un geste, un sourire, une parole de la furie et elles rappliquent au triple galop.

A l'encre de ton coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant