Samedi 18 juillet 2015
Penchée au-dessus de la rambarde, je scrute l'aube naissante. Le toit-terrasse est vraiment l'endroit que je préfère même si j'aime aussi être au loft. Il a un charme atypique, une décoration décalée et parfaitement « hype », mais ici, à l'atelier, je me sens à ma place, en phase. Dans ce joyeux bordel, au milieu des plans raturés, éparpillés et froissés, entourée de ces odeurs de térébenthine, de sciures de bois, je suis au bon endroit, avec l'instigateur de cette ambiance. Elle me rassure, elle m'apaise, j'y suis à ma place.
En quelques jours, c'est comme si toute ma vie se résumait à ça. San Francisco, Le Scar, l'atelier. Je visite la ville aux mille facettes, travaille quelques heures, et enfin, j'écris au milieu de son univers. Je m'y suis imposée, tremblante, mais obstinée, et je n'ai plus peur d'enfoncer chaque porte qui se trouve sur ma route.
J'aime le surprendre, concentré sur sa table à dessin ou en sueur lorsqu'il est en plein effort de réparation. Nous sommes bien ici, ensemble, au même endroit, indépendamment accrochés l'un à l'autre.
Il est mon équilibre et je me plais à croire qu'il a un peu besoin de moi.
Il est si différent de celui qu'il souhaitait me montrer au tout début.
Le petit garçon blessé, qui a grandi sans atteindre ses rêves de famille heureuse s'en est souvent voulu. Se rendant responsable de ce que les adultes n'étaient pas capables de lui offrir, il est devenu un homme psychiquement bancal, dans l'attente, la frustration et le chagrin du deuil.
La colère est toujours là, tapis dans un coin, mais toute cette énergie qu'il mettait à agresser son monde, il la canalise désormais dans son talent, dessiner ses vaisseaux.
Ses esquisses sont si prometteuses ! L'alliance parfaite de la tradition et de la modernité.
Je sais qu'il réussira.
J'ai eu Dan au téléphone. S'il me manque, cette sensation est totalement comblée par ma nouvelle passion pour son colocataire canon. Je ris toute seule en pensant à mes mots si décalés à ceux que je lui attribuais à mon arrivée. Bref, mon frère va bien, il se réjouit de sa sortie en mer pour être au cœur de son sujet d'étude : les baleines.
Il n'est même pas encore sept heures et Jack s'est déjà envolé pour un rendez-vous à la marina. Il doit régler un détail avant de me rejoindre au loft pour le petit déjeuner.
Je distingue la brume au loin flirter avec le Golden Gate et je crois que je ne me lasserai jamais de ce paysage. Je finis par m'éloigner à regret et je quitte l'atelier en prenant soin de bien tout fermer à clef.
Lorsque je débarque au loft, quelques minutes plus tard, je suis surprise d'y trouver Siri, attablée devant une tasse de café fumante.
— Eh ! Salut toi ! Décidément, je te croise toujours au même moment...
— Salut Rose !
— Qu'est-ce que tu fais là toute seule ?
— Je suis passée boire le café et je voulais voir mon meilleur ami, mais il n'est visiblement pas disponible...
Je ne peux m'empêcher de rougir sachant très bien à quoi elle fait référence. Avant que je ne m'impose dans le paysage, ils étaient meilleurs amis et se voyaient tous les jours quand leurs emplois du temps respectifs le permettaient. J'ai débarqué et chamboulé cette habitude. Je culpabilise un peu, mais je sais que je ne peux pas y changer grand-chose. Faire partie de son univers à lui c'est comme ça, on ne prend pas les choses à moitié, on les prend, c'est tout. Je sais qu'au fond il n'y a pas une once de reproches dans cette remarque, plutôt un constat. Il est occupé ailleurs et elle se languit de son meilleur ami.
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A l'encre de ton coeur
RomanceRose, 21 ans, termine sa troisième année universitaire sur l'île de Skye en Ecosse. Trahie par son petit-ami, en colère contre les obligations familiales, elle est déterminée à ne plus se laisser dicter sa vie. Elle se réfugie chez son frère aîné Da...