𝐏𝐫𝐨𝐥𝐨𝐠𝐮𝐞

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Anne rabattit la couverture sur le corps avant de retirer ses gants de latex, les muscles contractés pour masquer ses tremblements. Le verdict était formel, ce garçon avait succombé à ses blessures après avoir été frappé à plusieurs reprises. 

Battus à mort. 

La légiste frissonna. Des centaines d'horreurs étaient passées par son cabinet, le métier la connaissait, et la vue de ce corps tuméfié, aussi terrible soit-t-elle, l'aurait laissé indifférente si sa morale n'était pas engagée. Mais cette fois était différente. 

Cette fois elle allait devoir mentir. 

Justice ne serait jamais rendue pour ce jeune homme, et pour cette raison, elle ne pouvait le regarder sans être prise de nausée. 

Elle se tourna lentement vers la femme qui attendait devant la porte, droite comme un piquet. Ses yeux verts rendus encore plus perçant sur sa peau matte clouaient Anne sur place. 

— Alors, cause du décès ? Demanda-t-elle.

Anne déglutit avec difficulté. Elle aurait voulus pouvoir se couvrir les oreilles pour ne pas s'entendre. Les mots qu'elles s'apprêtaient à prononcer la hanteraient toute sa vie, elle le savait. 

— Choc allergique, répondit-t-elle d'une voix vacillante. 

La femme aux yeux verts laissa apparaître une rangée de dents éclatantes et deux faussettes sur ses joues sculptées. Elle était dotée d'un physique perturbant.

Une enveloppe parfaite. 

Plus jeune, Anne raffolait des histoires de vampires. Un détail en particulier la fascinait : affublés d'un physique idéal, ces monstres sanguinaires n'avaient aucun mal à attirer leurs proies jusqu'à eux. 

Elle y voyait le point faible de l'humanité. Aussi vulnérable que des papillons de nuit, qui volent vers la lumière pour s'y brûler les ailes, les hommes étaient condamnés par leur obsession des apparences. 

Cette femme était un vampire. Une enveloppe parfaite pour une cruauté sans limites, auxquelles personne ne pouvait résister. Mais son physique n'était pas sa seule arme. Anne l'avait compris un peu plus tard en grandissant, il existait autre chose, de plus puissant encore que la beauté. 

— Choc allergique, répéta la femme en extirpant une enveloppe de son sac à main. C'est très bien. Je vous donne la première moitiée maintenant et la deuxième une fois l'affaire classée. Cela vous convient-il ? 

Sans réfléchir, Anne hocha la tête. Elle avait besoin de cet argent. Du moins, c'est ce dont elle essayait de se convaincre. Une fois l'enveloppe entre les mains, elle sentit un frisson la parcourir. 

C'était cela, l’autre point faible.

Ces cinq cent milles dollars n'étaient sûrement qu'une broutille pour la femme en face d'elle, mais pour Anne, ils étaient tout. Tellement tout qu'ils allaient suffire à acheter son éthique. 

Et l'impunité d'un assassin. 

Le pensionnat KeppelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant