Chapitre 1.1

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Le paysage qui défile par les vitres du train est le même depuis des heures : des arbres aux feuilles déjà brunes, des sols boueux, et des trombes de pluies. Le mois de Septembre débute à peine et il faisait encore beau quand j'ai quitté New York, mais l'automne est précoce en Angleterre.

— Pensionnat Keppel, annonce une voix grésillante dans les hauts parleurs du compartiment.

J'ajuste mon sac sur mes épaules et empoigne ma valise pour la traîner jusqu'aux portes du train. Quand elles s'ouvrent quelques secondes plus tard, je suis la seule à descendre.

Une forêt s'étend devant moi jusqu'aux limites de mon champ de vision, le quai est désert et il n’y a pas un bruit. Rien ici ne semble signaler la présence de civilisation, même la route de béton qui sillonne entre les arbres ressemble davantage à une rivière reflétant le gris du ciel. Ça ne fait que renforcer mon impression de n’avoir rien à faire ici.

Je suis la route un moment, les poings serrés, avant qu’un panneau isolé ne m’indique de tourner à droite

Le changement d'ambiance est brutal. 

Sans autre transition qu’un petit chemin de terre, j'atterris au milieu d'une cour noire de monde où l'effervescence générale m'arrache un soupir de soulagement. Le silence devenait pesant. En avançant vers le point où converge l'allée, les gens, et les regards, je dépasse un enchaînement de voitures luxueuses qui attirent mes yeux quelques secondes. Rien à faire ici.

Je m'immobilise lorsque le bâtiment face à moi a complètement englouti le paysage dans son ombre. Immense. C'est le premier mot qui me vient à l'esprit. Symétrique est le deuxième. Deux tours arrondies se dressent de chaque côté de l'entrée principale, deux autres plus petites à l'extrémité des ailes du bâtiment, et de grandes fenêtres s'alignent sur les murs de pierres brunes. Son image ne révèle rien d’autre qu’une beauté architecturale sans extravagance, et sur internet, les informations à son sujet en révélait tout aussi peu. Trop peu pour un établissement dont le nom et le prestige rayonnent pourtant à l’international. 

Autour de moi, excitation, détermination et appréhension se mêlent sur les visages. Trois panneaux ont été installés devant les trois entrées, "accès deuxième années" sur celle de la tour gauche, "accès troisièmes années" à droite, et au milieu, celui qui me concerne : "accès premières années et nouveaux élèves". Un détail me saute aux yeux tout de suite : Si les nouveaux arrivants sont nombreux, l'entrée réservée aux troisièmes années semble beaucoup moins empruntée. 

Ce sera ma première information. 

Je suis la masse jusqu'à me retrouver dans une vaste salle de conférence, où un homme aux allures de politiciens attend le silence. 

— Je vous souhaite la bienvenue à tous, commence-t-il une fois l'agitation retombée. Je me présente : William Flinsher, sous-directeur de cet établissement. 

Son accent britannique prononcé me fait sourire, il est à l'image de son physique : snob. Il se lance dans un discours ennuyeux et débordant de banalités, lors duquel il vante son pensionnat d'une façon presque publicitaire, finissant par lister tous les grands noms y ayant été scolarisés. L'inventaire va des membres de la famille royale aux grands entrepreneurs aujourd'hui milliardaires. Ce monde élitiste est à des années lumières du mien pourtant je ne suis pas ici par choix. Personne ne m'a rien expliqué, personne ne m'a aidé, j'ai juste été jeté ici quand ma vie a volé en éclat, et je sens mon incompréhension tourner de plus en plus à la colère.

Le pensionnat KeppelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant