Le pensionnat Keppel

Chapitre 43

Noah Soden

J’entre dans une salle de classe agencée de la façon la plus angoissante qu’il soit : les tables sont isolées, un deuxième bureau a été ajouté au fond pour mieux surveiller la triche, et il y a des étiquettes nominales sur chaque place. Les conditions d’un examen. C’est le premier de la session, celui de science, que tout le monde redoutait le  plus.

Je trouve ma place et j’attends. La salle se remplit, une professeur de science est déjà là pour nous surveiller, mais cinq minutes avant huit heures, un tuteur arrive pour l’assister.

Il fallait que ce soit Tyler. 

Il passe dans les rangs pour distribuer les sujets et m’effleure la main au moment de me donner le mien. Son regard semble vouloir dire “bonne chance”. Il m’en faudra, je n’ai rien révisé, juste vaguement écouté en cours, je ne peux compter que sur ça. 

Le signal de départ est donné, et j’essaye de me concentrer sur ma copie. Tyler surveille la salle depuis le bureau de devant. Chaque fois que je lève les yeux, nos regards s’accrochent et je serre le poing sur mon stylo. Sa présence m'empêche de réfléchir. Je pense à lui, à Lana avec lui, à la façon dont je me suis servie de Simon pour le rendre jaloux… 

En un éclair, une demi-heure est déjà passée. Trop penser à Tyler me donne mal au ventre, de la même manière que quand je me retrouve dans le noir, ou enfermé dans un endroit trop étroit. Parce que c’est la même chose. Je suis coincé de la même manière, ça m’étouffe de la même manière. Comme avec mes parents. Il y aura toujours quelque chose pour m'emprisonner. 

Je baisse les yeux sur ma copie. Je n’ai plus le choix cette fois, si je ne me concentre pas dessus pour me changer les idées, je vais vraiment paniquer. 

J’enchaîne tous les exercices jusqu’à dix minutes de la fin. Ma copie est complète, je n’ai rien laissé de côté pour sauver un maximum de points. Quand je quitte la salle de l’épreuve, une voix m’appelle dans le couloir. Je la reconnais et ne prend même pas la peine de me retourner. 

— Je sais que tu m’as entendu alors attends moi ! insiste Eryn. 

— T’a qu’à me courir après. 

Elle le fait. Elle accélère jusqu’à mon niveau et me lance un regard noir avant de demander :

— T’as réussi ? 

— J’en sais rien. Pourquoi ? 

— Parce qu’il faut que tu monte au top dix le plus vite possible, avant que n’importe qui s’y installe trop bien et devienne impossible à virer. Alors t’as réussi ou pas ? 

— Je te dis que je sais pas, on verra. 

Je tourne à l’angle d’un couloir que je n’étais pas censé emprunter, juste pour me débarrasser d’elle. 

— Fais plus d’efforts, ordonne-t-elle alors que je m’éloigne. 

Je commence à me poser des questions. J’ai accepté l’alliance sans trop y réfléchir, peut-être parce que c’était l’idée de Lana et que je lui faisais confiance. Mais ce point là a changé. Lana a un objectif, et si elle est prête à accepter l’aide de Tyler pour l’atteindre, ça prouve qu’elle se fiche des conséquences que ses stratégies pourraient avoir sur les autres. Sur moi en tout cas. 

L’alliance est risquée. Apparaître au top dix est risqué. Je voulais attendre la fin de l’année pour ça, le dernier moment, ça a toujours été ma stratégie, mais je dois en changer pour Lana. 

Et plus j’y pense, plus ça ressemble à une mauvaise idée. 

Jeudi soir, quand je me retrouve au gymnase pour l’examen blanc de sport, je n’arrive pas à faire taire ce mauvais pressentiment. Si je m’en sort bien, en plus d’une bonne note, je récupérerais cinquante points. C’est ce que le coach avait promis aux deux élèves qui auraient les meilleurs résultats. Ça pourrait me propulser au top dix, c’est ce que voulait Lana, mais je le sens mal.