Chapitre 17

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Lana Parker


C’est le soir du vingt-quatre Décembre, il y a de la lumière aux fenêtres, et des guirlandes scintillent partout dans les rues pavillonnaires de mon quartier, où seul le son de mes pas dérange le silence. Je progresse au milieu des maisons toutes identiques alignées de part et d’autre de la route, avant de prendre un  virage qui me téléporte ailleurs, dans un tout autre monde. Sans aucune transition, les jolies pavillons disparaissent, remplacés par des immeubles aux façades salles, les voix des passants encore nombreux s’élèvent en brouhaha sonore, et un gyrophare de police concurrence les décorations de Noël.

Ce quartier du Queens dans lequel j’ai grandi représente une ville à part entière pour moi, indépendante de New-York, aux antipodes de l’effervescence de Manhattan. Tous les âges et toutes les classes s’y mélangent, d’une rue à l’autre, c’est le jour et la nuit. 

Quand j'atteins enfin l'épicerie que je cherchais, je suis soulagé de voir de la lumière en vitrine. J'avais peur qu'elle soit fermée, je n'aurais pas survécu. Mes placards sont complètement à sec. Je passe la porte, et traverse les rayons jusqu'à mettre la main sur un paquet de pâte, le dîner idéal pour un soir de réveillon. En me dirigeant vers la caisse, je fais sursauter le garçon assis là, qui tente comme il peut de dissimuler sa clope avant de se tourner vers moi. 

— Oh mon dieu, t’es pas morte ! s'exclame-t-il en écarquillant les yeux.  

C'est Ezra Jensen, mon ex petit ami, et la relation la plus longue que j'ai eue à ce jour. Une semaine avant qu'on ne perde tout intérêt l'un comme l'autre, et il n'avait même pas attendu jusque-là pour aller voir ailleurs. Mais ce détail mis de côté, je l’aimais bien.
 
— Qu'est-ce que tu fous là un soir de réveillon ? Je demande. 

— Je suis payé trois fois plus que d'habitude pour compenser, et la meilleure partie, c’est que je fête même pas Noël. Et toi ? Qu’est-ce que tu fais ? Où t’étais passé ?

Je lui répond alors qu'il scanne mon article : 

— Je suis entrée dans un pensionnat de dégénérés en Angleterre, et là je suis de retour pour passer mes vacances seule comme une grande. 

Il sourit. 

— Ça a l'air super.  Deux dollars s'te plait. 

Je paye et il enchaîne : 

— C’est vrai que t’as eu procès ? Je croyais que tu te ferais jamais prendre, ça brise le mythe… 

Il était au courant de mes conneries, il appelait ça un “talent”. Je hoche la tête sans rentrer dans les détails, ce serait bien trop complexe à résumer. 

— Il faudrait qu'on se revoit pour discuter, conclut-il. T'as toujours mon numéro ? 

— Je le débloquerai. 

Ça le fait sourire d'apprendre que je l'avais bloqué. Il n'est pas le seul, j'ai fait la même chose pour tous mes anciens contacts après avoir quitté New York. 

— T'as changé en tout cas, commente-t-il alors que je m’éloigne.

Pas lui, avec ses cheveux long, son trait de crayon noir sous les yeux, et son air pessimiste, il est la copie conforme de tout les garçons auquels j’ai pus m’intéresser. 

Je quitte le magasin, mon paquet de pâtes à la main, replongé dans les souvenirs de ma vie ici. C'est quand je compare que je réalise à quel point Keppel est un endroit à part. Un endroit qui change les gens, qui fait ressortir le pire en tout le monde. C’est déprimant d’être seule, mais même si c’était le cas les premiers jours, le pensionnat ne me manque plus.

Le pensionnat KeppelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant