Le vent s'infiltrait entre les branches des arbres immenses et protecteurs de la forêt, se glissait dans les pelages des chats qui y évoluaient d'un pas rapide et silencieux. Pas qu'il leur fallût nécessairement l'être, mais aucun d'eux n'avait le cœur à la discussion. Trois jours étaient passés, sans qu'aucun nouveau mort ne fut à déplorer. Alors, même si une part d'eux craignait vraisemblablement que ce ne fut qu'un court répit, il leur fallait néanmoins redresser la tête, et y croire ; retrouver un quotidien aussi normal qu'il pût être étant donné les circonstances. La pleine Lune arrivait à pic, presque salvatrice, et pas un seul chat n'était resté au Camp. Pelage de Nuit avait d'abord protesté, méfiant vis à vis de leurs ennemis comme il l'avait rarement été, arguant qu'ils pourraient en profiter pour leur tenir une embuscade, ou bien se servir dans leur Réserve... La meneuse avait simplement répondu que le Clan ayant été diminué presque de moitié, il était hors de question, et hors de sens, de laisser qui que ce soit derrière. De plus, ils ne seraient pas plus nombreux qu'à n'importe quelle Assemblée normale, et celle-ci promettait de ne pas l'être.
« Qu'est-ce que tu entends par là ?
– Tous ces morts, et parmi eux, il n'y a ni toi, ni Poussière d'Étoile, ni moi. Ça tient du miracle. J'ai bien peur que ce ne soit pas le cas pour tous les autres Clans. Nous allons nous retrouver face à un ou plusieurs nouveaux chefs, un ou plusieurs nouveaux lieutenants, des apprentis devenus guérisseurs par la force des choses. Ce qui va se passer me semble trop important pour laisser une poignée de chats derrière, sous principe qu'habituellement, nous sommes trop nombreux pour que chacun puisse venir.
– Je n'aime pas quand tu parles de nos pertes comme si ça n'était rien. En deux lunes nous avons perdu plus de chats que nous ne sommes de survivants. Comment peux-tu en parler aussi calmement ?
– Parce que je n'ai pas le choix, Pelage de Nuit. Parce que si je pense à tout ça avec trop d'émotions, je vais m'effondrer et je ne suis pas certaine que tu, que vous ayez le courage de me relever. »
Le lieutenant n'avait rien dit, et alors qu'il marchait non loin de sa meneuse, il ruminait ses paroles. La première vague de Mal Bleu l'avait amenée plus bas que terre, chaque nouveau mort l'entraînant un peu plus loin dans les abysses du désespoir et de la culpabilité. Et depuis, dès lors que leur Clan perdait un des leurs, le poison de la culpabilité s'insinuait un peu plus profondément en elle. Pourtant, la deuxième vague ne l'avait pas fait flancher une seule fois, malgré la douleur qui lui déchirait le cœur, et Pelage de Nuit se demanda ce qui avait bien pu changer. La douleur avait-elle finit par la rendre presque amorphe, ou bien s'était-il passé quelque chose lors de ses deux mois d'exil qui avait agi pour elle comme une prise de conscience, un électrochoc à ne plus jamais se laisser abattre ? Il ne le saurait peut-être jamais.
Le groupe de chats arriva enfin en vue de l'île aux Assemblées, où ils ne s'étaient pas rendus depuis trois lunes ; vague d'émotion donc, et malgré la douleur qui embrumait encore leurs cœurs, et malgré les dissidences, les guerriers et guerrières se mêlèrent les uns aux autres sans se préoccuper de rien d'autre que de ceux qui demeuraient encore là, presque par miracle. Toile d'Araignée bouscula des chats, à la recherche d'un en particulier, qu'il ne parvenait à trouver. Il avait pourtant parfaitement confiance en Cœur de Soleil ; si son ami lui avait promis que Truffe de Jais allait bien, alors il était là quelque part. Enfin, les deux amants se retrouvèrent, soulagement et trémolos dans la voix, murmures sanglots. Tu es là, je t'aime, je ne te laisse plus repartir. Cette fois-ci, ceux de leurs camarades qui n'avaient pas encore compris furent forcés de ne plus être dupes. Il y avait quelque chose de si pur et de si grand dans leur amour, que personne n'osa faire de commentaire, pour ceux qui auraient habituellement crié au scandale. Étoile de Neige s'approcha de l'arbre des chefs, anxieuse de ce qu'elle allait y trouver. Ou ne pas y trouver. Le fantomatique Étoile Silencieuse y patientait déjà, lui adressa à peine un salut. La meneuse blanche voulut lui demander si sa lieutenante, qu'elle n'avait pas réussi à apercevoir dans la foule, allait bien, la boule dans son ventre grandissant un peu plus, mais n'eut pas le temps de le faire. Elle reconnut l'odeur du chat qui arrivait dans son dos avant même qu'il ne prononçât un seul mot, et dut prendre sur elle pour ne pas laisser son pelage se hérisser.
VOUS LISEZ
Les Clans du Lac
FanfictionTout avait commencé banalement. Quatre Clans vivaient autour d'un lac, au cœur même de la forêt, dans une harmonie conflictuelle. Quatre territoires farouchement gardés, quatre chefs chargés de les protéger, des chats à l'ambition démesurée et d'au...