27. Certaines choses ne changeront jamais

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Le Clan était en pleine effervescence. Chacun s'affairait de son mieux à aider Poussière d'Étoile à s'occuper des blessés. Le guérisseur se sentait abeille butineuse, il allait de chat en chat, soit pour prendre connaissance de son état, soit pour lui confier une tâche. Il envoya Nuage Fauve, Nuage de Noisette, Nuage de Poussière et Nuage de Mésange chercher de l'eau à la rivière, il allait en avoir besoin en grande quantité, et les apprentis étaient les seuls qui, s'ils étaient tout autant en sous-nutrition que les autres, ne portaient aucunes blessures dont il fallait s'occuper. Se sentant quelques peu submergé, le matou essaya de mettre de l'ordre dans ses priorités. Pelage de Nuit était celui qui nécessitait les soins les plus urgents et les plus importants, mais il était également inquiet de l'état de Nuage de Sable, que les guerriers avaient trouvée étendue sur le sol, inconsciente, et dont Nuage de Plume et Nuage de Geai refusaient de s'éloigner. Son frère et Herbe Folle allaient également avoir besoin qu'il s'occupe plus sérieusement de leurs plaies que le bricolage qu'il avait fait sur place, et bon nombre de guerriers portaient des blessures qui, si elles n'étaient ni grave ni mortelles, demandaient ses soins. Comme il aurait aimé avoir Feuille de Chêne à ses côtés... Son mentor aurait géré toute cette situation avec brio, et au moins ne se serait-il pas senti seul, avec tant de chats à soigner et qu'une vague idée de l'ordre dans lequel procéder. Avec la responsabilité écrasante d'être le seul à pouvoir faire quelque chose pour son Clan, dans l'état où celui-ci était. Tout en donnant des consignes aux guerriers en état de marcher, Poussière d'Étoile s'affaira à mettre un cataplasme sur la plaie du lieutenant, qu'il maintint en place à l'aide de toiles d'araignées. La grande majorité de son stock d'herbes avait pourri, mais il lui restait heureusement l'essentiel ; il passerait en revanche une bonne partie des prochains jours à faire la cueillette. Peut-être pourrait-il demander à quelques apprentis de l'accompagner, leur aide ne serait pas de refus, et il pourrait leur apprendre à reconnaître certaines plantes, chose qui pouvait toujours s'avérer utile. Il se demanda un instant quand ce serait à son tour de former un futur guérisseur, et si un chaton allait réellement vouloir poursuivre cette voie pas toujours si simple. Elle était la sienne, et il ne l'échangerait pour rien au monde, mais pouvait-il réellement souhaiter à un des siens de nourrir le rêve de devenir guérisseur ? Il y avait tout le bon, mais qu'en savaient-ils du mauvais avant de s'y engager ? De la culpabilité dévorante à chaque fois qu'un chat mourrait qu'il avait échoué à soigner, même alors qu'il n'aurait rien pu faire de mieux ? Et le risque de croiser deux yeux à faire tourner la tête, et savoir qu'ils ne feront rien d'autre que cela ? Il n'avait plus pensé à Rivière de Brume depuis bien longtemps, parce qu'il savait depuis le début qu'il ne renoncerait à rien pour elle, qu'il ne briserait aucune règle, qu'il se contenterait de l'admirer de loin en songeant que dans une autre vie peut-être...

Un silence lourd tomba soudain sur le Clan, un silence un peu nerveux, qui ne sait pas où se mettre. Un silence qui tira Poussière d'Étoile de ses réflexions intérieures. Chacun des félins présents dans la clairière dirigea son regard vers l'entrée du Camp, où Étoile de Neige venait de faire son apparition, accompagnée de deux chatons fatigués mais que le trajet semblait avoir requinqués. Avisant leurs parents allongés l'un contre l'autre à côté de la tanière des apprentis, Petit Lion et Petite Neige se précipitèrent vers eux. Depuis deux lunes, Cœur de Soleil et Herbe Folle n'avaient pas pu voir une seule fois leur progéniture, et sans le savoir, ils eurent la même réaction que la meneuse en les voyant. Ils avaient grandi, tellement grandi, trop grandi, grandi sans eux. Pincement au cœur. Autour d'eux, nul ne savait comment réagir. Un étrange malaise était tombé sur le Camp en même temps que le silence. Et s'ils étaient mieux sans moi ? Est-ce que c'est réellement elle, est-ce que tout est vraiment terminé ? Pelage de Flocon fut le premier à briser la tension qui s'était installée sans que quelqu'un eût pu expliquer pourquoi. Claudiquant, ignorant son épaule qu'un coup de crocs avait démise, il s'avança vers sa mère et enfouit sa tête dans son cou, s'imprégna de son odeur. Il se sentait redevenu chaton, quand il venait se blottir contre elle après une grosse frayeur, ou, plus tard, quand Petit Givre, son frère, lui manquait trop. Il se sentit automatiquement mieux, oublia pour quelques secondes l'enfer des derniers lunes. Sa mère était vivante et elle était de retour. Les choses pouvaient reprendre leur cours normal.

Les Clans du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant