4. Souvenirs du passé

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Les crocs de l'animal se plantent dans sa chair, cherchant à atteindre sa jugulaire, voulant porter le coup fatal. La chatte panique. Son ventre gonflé l'empêche de se mouvoir comme il le faudrait, la laissant sans défenses, à la portée du monstre. Ses pattes arrières martèlent le ventre de l'animal dans un geste inutile. Des miaulements aiguës sortent de sa gueule, tentant vainement d'appeler au secours. Mais elle est trop loin du Camp pour espérer qu'on l'entende, elle le sait. Elle a peur. Une peur comme jamais elle n'en a jamais ressenti. Sa mort lui fait peur comme rarement, car elle entrainerai avec elle celle de ses chatons. La jeune reine avait voulu boire à la rivière quand le renard, voyant en elle une proie facile et isolée, l'avait attaquée. Mais alors qu'elle pense sa dernière heure venue, le poids de l'animal la libère enfin, et la future mère se relève avec difficulté. Devant elle, se dresse un grand chat gris avec une seule oreille noire. Il fait face au renard, menaçant, ses babines redressées sur ses crocs pointus. Le félin se jette sur le canidé et tous deux roulent dans la poussière. La femelle le regarde avec un air angoissé. À quelques mètres seulement d'eux, la rivière descend à pic en une longue et rocheuse cascade, débouchant dans un grand lac. Au-dessus, les falaises forment la fin du territoire du Clan du Soleil. Le guerrier venu à son secours lui ordonne de fuir, mais la femelle est tétanisée par la peur et ne peut bouger. L'inévitable se produit alors. Si les chats avaient été physiciens, ils auraient évoqués la loi de Murphy. Là, la femelle ne pense qu'à quelque chose qui n'aurait pu être évité. Les deux combattants basculent dans la rivière, et se retrouvent rapidement emportés par le courant. La femelle hurle le nom de son sauveur et court le long de la rivière pour trouver l'opportunité de lui porter secours. Mais le courant est bien trop fort, et le chat est toujours agrippé à la bête, refusant de le laisser s'échapper. Le précipice les entraine, et ils sont emportés par le déluge de la cascade. Oubliant totalement son gros ventre et son épaule de laquelle s'écoule un épais liquide rouge, la reine dévale aussi vite qu'elle peut la pente rocheuse menant au lac. En bas, le goupil est empalé sur un rocher pointu. Mais nulle trace de son adversaire. Plongeant dans l'eau glaciale sans une hésitation, la jeune guerrière s'empresse de rejoindre une tâche grisâtre qui dépasse faiblement de l'eau. En agrippant la fourrure du chat, elle donne des coups de patte vigoureux dans le but de le ramener vers le bord. Elle se hisse sur la rive et s'effondre à ses côtés, éreintée.

« Étoile de Brume je t'en supplie réponds-moi, » murmure-t-elle dans un souffle.

Le meneur tousse un peu d'eau, et tourne vers elle son doux regard bleu. Ses flancs sont lacérés de plusieurs traces de griffes, et une de ses pattes arrières est tordue dans un angle improbable. Il essaye de cacher à sa compagne sa souffrance, pourtant bien lisible dans ses yeux ternes.

« Tu vas bien ? s'enquière-t-il, inquiet. J'ai entendu tes cris en sortant dans la foret mais j'ai crains d'arriver trop tard...

– Oh mon amour qu'as-tu fait ? C'est ta dernière vie tu le sais. Si tu la perds je... je te perdrais à jamais.

– Si c'est mon destin de mourir, je suis ravi de l'avoir fait en sauvant ta vie, Cœur de Neige.

– Arrête de dire des choses pareilles, le supplia-t-elle, au bord des larmes.

– On ne peut empêcher ce qui doit arriver, ma douce. Je t'ai sauvé, toi et nos enfants, et si j'avais la possibilité de changer les événements je n'en ferai rien. Tu m'es trop précieuse pour que je te perde.

– Mais je ne veux pas te perdre non plus ! s'écrie-t-elle, désespérée. Et je ne veux pas devenir chef, crotte de renard ! Je suis bien trop jeune ! Jamais je ne pourrais être à la hauteur !

– Tu seras merveilleuse... Étoile de Neige, » murmure-t-il dans un dernier souffle.

La longue plainte poussée par la nouvelle meneuse résonne dans la forêt, tel un cri de désespoir et de douleur. Elle a perdu son compagnon, sa raison de vivre, et se retrouve subitement propulsée au rang le plus élevé dans le Clan. Avec toutes les responsabilités qui vont avec. La lieutenante reste longuement là, lovée contre le corps de celui qui représentait tout pour elle, à pleurer son amour perdu.

Les Clans du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant