Les Clans du Lac

15. Le Mal Bleu

Étoile de Neige laissa à Pelage de Pierre la nuit pour se remettre du deuil de sa compagne, profitant elle-même de ce temps pour pleurer la mort de Patte Féroce. Pour laisser la tempête de son angoisse l'envahir, aussi. Lorsqu'était venu le temps pour elle de prendre la place de son défunt compagnon, Patte Féroce s'était trouvé à ses côtés, lui transmettant son savoir, sa force, et sa sagesse. Bien qu'ayant probablement le double de son âge, il ne l'avait jamais considérée comme une gamine. Elle était sa chef, et il lui portait un respect et une loyauté sans failles. Sans lui, Étoile de Neige n'était plus sûre de rien. La vétéran avait toujours su la seconder, et prendre le relais lorsqu'elle-même ne se trouvait pas en état de diriger le Clan. Elle pensait naïvement qu'il se trouverait toujours à ses côtés. Mais il avait suffi d'une seule journée pour tout balayer. Ses certitudes, notamment. Elle s'accorda la nuit pour douter, et dès le lendemain matin, convoqua Pelage de Pierre dans son antre. Celui-ci lui sembla plus vieux, comme si son meilleur ami et sa compagne, en s'éteignant, avaient emporté avec eux plusieurs de ses années. Mais le plus flagrant demeurait la disparition dans le regard de la lueur de folie que d'aucuns appelaient « ambition ». Même s'il y subsistait toujours cette folie meurtrière qu'il contenait grâce à sa surprenante loyauté.

« Nous ne pouvons pas perdre ne serait-ce qu'un seul guerrier de plus, démarra-t-elle à peine eut-il pénétré dans son antre. Poussière d'Étoile se rendra cette nuit voir nos ancêtres afin de les consulter, mais je refuse d'attendre sans rien faire, dans l'angoisse de qui sera le prochain.

– Et que comptes-tu faire ? lui demanda le nouveau lieutenant. Attaquer le Clan de la Nuit au cas où ils aient trouvé le moyen de nous empoisonner à distance ?

– Absolument. Si c'est une maladie qui a emporté nos guerriers, il y a peu de chances que seul notre Clan ait été touché, ils auront donc eux aussi subi des pertes. Si ce n'est pas le cas, devront nous fournir certaines informations.

– Eh bien. Moi qui pensais devoir batailler avant d'obtenir de ta part la permission d'aller les massacrer...

– Je ne veux pas non plus les massacrer, Pelage de Pierre. Nous n'attaquerons pas tant que nous n'aurons pas les preuves irréfutables qu'ils sont les responsables de l'hécatombe qui nous touche.

– Tu les auras tes preuves. Ce sont eux, ça ne peut pas être autrement. D'une manière ou d'une autre, ils les ont forcément empoisonnés. Il faut qu'ils meurent, jusqu'au dernier.

– Pelage de Pierre, calme-toi. D'abord, je te laisse désigner les guerriers qui viendront avec nous. Et au moment venu, c'est moi et moi seule déciderai du sort du Clan de la Nuit. »

Le guerrier de cendre grogna mais s'exécuta, le chagrin semblant avoir ravivé sa tendance à ignorer la présomption d'innocence. Avant qu'il ne sortît de l'antre, Étoile de Neige l'arrêta.

« Pelage de Pierre, je comprends ta souffrance, mais le Clan doit passer avant ton propre intérêt. Je sais, c'est extrêmement dur, surtout quand tes émotions entrent en jeu. Mais tu dois le faire quand même.

– Non, Étoile de Neige. Tu n'as aucune idée de ce que je vis.

– J'ai perdu mon fils alors qu'il n'avait pas six lunes. J'ai perdu mon compagnon avant la naissance de ma deuxième portée. Je viens de perdre ma meilleure amie, mon lieutenant, et en tout, cinq membres de mon Clan, que je devais protéger. Alors si, je sais parfaitement ce que tu ressens. »

Le ton de la meneuse blanche était devenu aussi glacial que son pelage immaculé. Le nouveau lieutenant se tut et, peu désireux d'affronter plus longtemps la colère froide de sa sœur, sortit de l'antre s'acquitter de sa tâche. Il hésita un instant à grimper sur le Promontoire pour faire son annonce, mais songea que c'était peut-être quelque peu trop tôt, et se contenta d'appeler au rassemblement depuis le pied de celui-ci. Ce fut rapidement fait. Passant en revue les guerriers présents devant lui, il se surprit à se demander qui parmi eux Patte Féroce aurait choisi. Les meilleurs de leurs guerriers, sans aucun doute.