9. La morsure de l'hiver

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Deux corps s'enlacent. Deux cœurs battent à l'unisson. Deux souffles s'entremêlent.
Deux chats se câlinent sans cesse, incapable de se séparer, retardant éternellement l'inévitable. « Il faut y aller, mon amour, » murmure l'un. « Je ne veux pas. Je n'en peux de ne te voir qu'une seule fois par lune, en dehors des Assemblées. Je ne le supporte plus, » se désole le second à voix basse.
À la seule lueur de la lune, là où la frontière entre leurs Clans se situe, deux chats s'enlacent si fort qu'ils semblent vouloir se fondre l'un dans l'autre pour ne jamais plus se séparer. Ils se chuchotent mille mots doux, mille promesses, mille murmures. Le moment où chacun doit retourner dans son Clan leur semble être une déchirure, dont ni l'un ni l'autre ne se remettront jamais.
« Je sais. Mais on ne peut pas se permettre de se voir plus régulièrement, nos camarades commenceraient à se douter de quelque chose. Et puis si on était sans cesse fatigués, il nous serait rapidement impossible d'accomplir nos devoirs. La prochaine Assemblée se tiendra dans peu de temps, on pourra alors décider de quand on se reverra. »
Résigné, le second félin acquiesce. Il profite un instant encore de la chaleur du pelage de son amant. Puis, à contrecœur, en ayant l'effroyable impression que celui-ci allait se briser, il se détache de son amour, et s'enfonce dans la nuit, se dirigeant vers son Clan, la tête et la queue basse. Son pelage clair se fond dans le paysage enneigé. Une larme roule sur sa joue, se perdant dans ses poils. Comme les adieux lui sont douloureux. Tel un fantôme, le félin rejoint son Camp.

*

Près de deux lunes avaient passé, et les tentions semblaient s'être apaisées. Ou tout du moins, Étoile d'Écume n'avait encore rien tenté pour récupérer le morceau de territoire repris par Étoile d'Orage et les siens, et le Clan de la Nuit restait relativement du bon côté de sa frontière. Nuage d'Hermine continuait d'en vouloir à son frère, sans que celui-ci ne sût pourquoi, et il s'inquiétait de la voir disparaitre près d'une nuit sur deux, sans qu'il ne parvînt jamais à savoir avec certitude sa destination. Malgré les inquiétude de leur grand frère et mentor de la jeune chatte, Nuage de Soleil n'avait rien dit à personne des escapades nocturnes de sa sœur, surtout pensant qu'elles avaient un rapport avec un certain guerrier tant haït.

Nuage de Soleil se rabroua. Il devait cesser un instant de penser à sa sœur, autrement il allait avoir des problèmes. L'apprenti d'une dizaine de lunes se ramassa sur lui même, à l'affut du moindre mouvement, du moindre fumet, du moindre bruit. Chaque proie lui était essentielle, et ce pour deux raison : la mauvaise saison était sur eux, la neige tombait drue, sans interruption, depuis trois longues journées, le gibier se faisait donc de plus en plus rare, et il se trouvait actuellement en pleine évaluation de chasse. Une qui, il l'espérait, l'amènerait à devenir enfin un guerrier à part entière. La veille, Nuage d'Hermine et lui avaient subi l'évaluation de combat de Patte Féroce, et tous deux en étaient sorti totalement courbaturés. Certains muscles, dont il ne soupçonnait jusque là même pas l'existence, le faisaient souffrir au delà de l'entendement. L'apprenti doré prit néanmoins appui sur ses pattes arrières, et bondit tout d'un coup sur le mulot qu'il visait. Le pauvre animal couina de terreur en voyant le prédateur fondre sur lui et détala à toute vitesse, le cœur battant à cent à l'heure. Mais Nuage de Soleil, qui n'avait pas dit son dernier mot, courut à la suite du rongeur qu'il rattrapa rapidement, et l'abattit dans un coup de crocs. Haletant, et les pattes tremblantes à cause de la neige et du froid, le jeune chat se secoua comme il pouvait pour se réchauffer, et rejoignit la pile de ses proies déjà attrapées. Le maigre butin le fit soupirer. Seuls une grive et un lapin, qui n'avait plus que la peau sur les os, venaient s'ajouter au mulot fraichement tué, alors qu'il chassait depuis le lever du soleil et que la nuit commençait à tomber. Au moins, le mulot était étonnamment gros pour la saison, cela constituait une maigre compensation. Un feulement de rage s'échappa de sa gorge. Le sentiment de n'avoir rien apporté à son Clan l'envahit, et ce pour la deuxième fois de la journée. Comment pouvait-il prouver être digne de devenir un guerrier, si l'épaisse couche de neige qui tombait sur la forêt, ainsi que le froid de plus en plus saisissant, l'empêchait de chasser correctement ?

Les Clans du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant