14. Tempête

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Pelage d'Hermine frissonna en sentant l'air nocturne s'insinuer entre ses poils, caresser sa peau qui se couvrait de chair de poule, transissant son corps de froid. Pourtant, celui-ci la dérangeait bien moins que l'angoisse qui rongeait son estomac. Autour d'elle, un silence de plomb régnait sur le Camp, la laissant seule avec ses pensées. Le soleil commençait à se lever, et il n'était toujours pas venu. Pourtant, depuis le début de leur relation, ils avaient tout planifié en vu de cette journée, tout agencé, évoqué les moindres possibilités qui pourraient les empêcher de réaliser leur ultime projet. Mais rien. Pas de nouvelles, alors qu'il aurait dû, et ce depuis déjà bien longtemps, venir l'arracher de cette vie morne qu'elle menait. Pourtant, alors que les guerriers de son Clan commençaient à se réveiller, un à un, elle eut le sentiment que tout était fini. Les promesses d'un avenir radieux s'étaient envolées au moment où le premier guerrier s'était levé.

Pelage de Flocon s'avança vers elle, la fierté d'avoir pu mener sa petite sœur jusqu'au rang de guerrière se lisant dans son regard si semblable à celui de leur mère, et lui déclara que sa veille était terminée, qu'elle pouvait aller se reposer. Lasse, et emplie d'un profond sentiment de trahison, la jeune guerrière se rendit dans l'antre des guerriers, où certains de ses camarades dormaient encore. Elle se trouva une litière vide à côté de celle de Cœur de Soleil, à qui elle parlait toujours aussi peu. Contre ce dernier s'était lovée Flamme Ardente, devenue sa compagne la veille. Elle soupira à cette vision, jalouse, et se roula sur l'épais tapis de mousse à la triste froideur.

Avant que le sommeil ne la prît enfin, elle entendit Épine de Sapin venir chercher Pomme Cendrée et Griffe de Hibou pour une patrouille de chasse, Tempête de Glace réprimander Toile d'Araignée pour n'être pas déjà parti à l'entraînement avec Nuage d'Herbe, cette dernière entrer un peu après pour réclamer à son tour la présence de son mentor qui semblait s'être rendormi, mais repartir après s'être figée de rage et d'effroi, Toile d'Araignée se lever enfin, suivit par Cœur de Soleil et Flamme Ardente. Après eux, la tanière fut enfin vide et silencieuse, permettant à la jeune guerrière de trouver le sommeil dont elle avait tant besoin.

Dans le Camp, chacun s'affairait, insouciants. Heureux. À l'exception peut-être de Nuage d'Herbe qui fusillait Flamme Ardente du regard, à priori soutenue par un Toile d'Araignée assez confus. Âgés de déjà trois lunes, Petite Mésange et Petite Poussière regardaient la vie du Clan avec l'innocence totale des yeux de ceux qui n'ont pas encore vu le malheur.

Cette plénitude générale, ce fut Feuille de Chêne qui vint la briser. La guérisseuse ressortit de la tanière des guérisseurs, la mine basse, avant de pénétrer dans celle de leur meneuse. Les membres du Clan se regardaient, inquiets et confus, se demandant quelle mauvaise nouvelle leur guérisseuse pouvait bien avoir à annoncer à leur chef. Celle-ci sortit peu après en courant, s'engouffrant telle une flèche dans l'antre des anciens. Le spectacle qui se jouait devant ses yeux la figea sur place, glaçant son sang dans ses veines. À côté d'un Renard Ardent dévasté, semblant avoir rajeunit de bien des lunes, perdu tel un chaton, reposait le corps de Feuille de l'Aube. Mort. Un filet de sang s'écoulant de sa truffe. Une larme roula sur la joue d'Étoile de Neige, bientôt suivie d'une autre, jusqu'à ce que d'autres suivissent, intarissables. Feuille de l'Aube avait toujours été là pour bien des membres de leur Clan, les entourant de sa bonté et de sa bienveillance, et avait soutenu sans faillir l'actuelle meneuse, de la jeune apprentie dont le frère menait la vie dure, à la chef tâchant de garder la tête hors de l'eau, en passant par la guerrière perdue et la lieutenant incertaine. Sans elle, Étoile de Neige ne serait pas la moitié de celle qu'elle était aujourd'hui, elle lui devait tout. La douleur de la voir ainsi lui était aussi insupportable que celle de Renard Ardent à ses côtés, qui venait, lui, de perdre sa mère.

« Comment est-ce arrivé ? articula-t-elle difficilement à l'attention de la guérisseuse, toujours à ses côtés.

– Je... je ne sais pas. Renard Ardent m'a dit qu'il l'avait trouvé comme ça... Je... je ne vois pas de quelle maladie il pourrait s'agir. Pourtant qu'il n'y a aucune trace de lutte, ni de blessure, mis à part le sang sur sa truffe. »

Les Clans du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant