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[1999]

Roppongi, Tokyo, dans l'arrondissement de Minato. Surtout connu en tant que lieu branché la nuit et abritant le vaste complexe de Roppongi Hills. Si Kenza se trouvait à Roppongi, ce n'était pas pour aller visiter les expositions artistiques ni se mêler aux Tokyoïtes diurnes. Des rumeurs étranges se baladaient ; le quartier serait aux mains de deux jumeaux depuis à peine quelques mois. Sans prendre de risques inutiles, Kenza avait prévenu Shinichiro qu'elle risquait de faire un tour à Roppongi, prétextant rejoindre une amie là-bas.

Kenza entra dans le parc Hinokicho avec une certaine appréhension. Les lieux, plutôt fréquentés l'après-midi par des étrangers ou les habitants, laissaient courir des bruits de bagarre.

Pas étonnant qu'il n'y ait personne, songea Kenza, la baston fait fuir.

Elle passa devant un distributeur et des jeunes se battaient sur le carré d'herbe principal du parc, face à une structure métallique étrange, et cerné de petites barrières.

Loin d'être égale, la bagarre se solda par une dizaine de délinquants effondrés dans l'herbe, les membres ecchymosés et mal en point. Seules deux silhouettes tenaient encore debout et ne paraissaient même pas fatiguées.

Kenza s'accouda aux barrières, les pieds dans l'herbe. Elle aurait tout simplement pu partir, mais elle ne l'avait pas fait, curieuse de savoir ce que ces jumeaux valaient vraiment.

- Tiens, on a une spectatrice, Ran.

- Vraiment ?

Le dénommé Ran possédait de longues tresses blondes descendant juste en-dessous de ses clavicules et un sweat blanc trop large pour lui ; Rindou remontait ses lunettes sur son nez, les cheveux blonds attachés en queue-de-cheval et lui, portait un tee-shirt rouge. Ran esquissa un sourire mauvais avant de se rapprocher avec son frère.

- Que veut le chien de chasse de Sano Shinichiro ?

- Vous n'êtes que deux ?

Rindou réprima un rire, surpris de la question. Ran répondit à sa place :

- On a pas besoin d'équipe, on va détenir Roppongi.

Même si Ran avait ses mains dans son dos, Kenza discerna un faible éclat argenté grâce au soleil. La plaisanterie avait assez duré. Kenza leur adressa un regard noir.

- Très fair-play de ta part d'utiliser des armes.

- Mince, t'as remarqué.

Ran dévoila une matraque télescopique de son dos.

- On va dire que je m'en sers quand c'est nécessaire.

Kenza soupira et esquiva d'un bond en arrière un coup porté par Rindou. La jeune fille jugea bon de ne pas retenir ses coups pour ces deux-là ; ils n'éprouveraient aucune pitié pour elle non plus.
Kenza porta un high kick sur le côté gauche de Rindou, parvenant à le faire reculer de plusieurs pas ; il était presque courbé en deux, en proie à une certaine douleur.

- Joli <3, complimenta Ran.

Kenza bloqua avec son bras la matraque, sentant vivement la douleur s'y répandre mais c'était une diversion ; Rindou, le plus rapide, s'était retrouvé derrière Kenza et riposta coup pour coup ce qu'elle lui avait envoyé dans les côtes plus tôt ; elle se prit les barrières du carré d'herbe de plein fouet dans la jambe.

Une chaussure lui creusa l'estomac violemment et Kenza se sentit projetée en arrière ; sa tête heurta le sol alors que sa respiration s'était coupée net. Kenza cracha, les yeux écarquillés et elle roula sur le côté, un genou à terre et les membres tremblants.
Ils ne retiennent vraiment pas leurs coups.

Kenza ne quitta pas les jumeaux du regard. Ran s'avança le premier, amusé. Rindou sauta de l'autre côté des barrières et d'un mouvement calculé, empoigna les barres métalliques, projetant sa jambe qui fendit l'air ; Kenza recula vivement, évitant de se prendre un coup mortel en pleine tête mais elle se créa un déséquilibre et une ouverture que Ran utilisa à son avantage. Il eut un sourire encore plus grand quand Kenza se leva complètement alors qu'elle aurait dû rester à terre. Sa résistance la sauvait aux pires moments.

Ran visa les chevilles d'un coup de pied et Kenza ne fut pas assez rapide pour l'éviter ; son dos cogna brutalement l'herbe, ses poumons s'emplirent d'air douloureux, un goût métallique se mêla à sa salive et des bourdonnements s'affolèrent dans ses tympans. Kenza n'arrivait plus à bouger du tout, de même que sa vision était un peu parasitée par des taches noires mouvantes. Respirer, une épreuve.

- Ce n'est pas bien de sous-estimer ses ennemis.

Ran la regardait de haut, toujours un sourire scotché aux lèvres et Rindou le rejoignit.

- T'as de la chance d'être une meuf, on va pas te frapper au visage.

- Mais venir sur notre futur territoire, ce n'est pas très intelligent de ta part, renchérit Ran.

- Bah alors ? Tu flippes ?

Kenza ne les pensait pas aussi fort ; ce n'était pas autant leur force de frappe qui était à craindre, c'était plutôt leur synchronisation et leur rapidité, surtout Rindou. Kenza voulut répliquer mais aucun mot ne traversa ses lèvres, à peine un murmure rauque. Les nouvelles générations de délinquants craignaient de plus en plus. Kenza se fit la promesse à ce moment-là que si elle les revoyait plus tard dans le futur, elle leur assènerait une défaite dont ils se souviendraient, ça serait marqué au fer rouge dans leur cerveau.

- T'es finie.

L'instant d'après, une paire de baskets foula les pavés, sauta sur la barre métallique qui devint un tremplin et un high kick circulaire atteignit Rindou en pleine tête ; quelqu'un atterrit presque en grand écart, amorti également par sa main droite. Ran fit volte-face, les yeux écarquillés.

- Rindou...??

Son petit-frère gisait sur le sol, inconscient. La personne qui venait d'arriver se leva doucement, une lueur de rage dans les yeux, sa queue-de-cheval s'agita derrière son crâne. Sans aucune pitié, Wakasa dégagea Rindou d'un coup de pied dans les côtes.

- Un deux contre un, bande de connards.

Wakasa s'avança vers Ran, sa boucle d'oreille tintait et son sourire s'agrandit de colère. Ran ne perdit pas la face. Mais d'autres personnes arrivèrent à la suite du Léopard Blanc : Keizo, Takeomi et Shinichiro, plus énervés que jamais.

- Toucher à la personne qui m'est le plus chère, on t'a grillé des neurones fils de pute.

Kenza s'aida faiblement de ses bras pour se relever, la respiration brûlante et les poumons en éruption, mais ce fut Takeomi qui la soutint par les épaules. Sans son assistance, Kenza se serait de nouveau effondrée par terre pour ne plus se relever. Le sourire de Wakasa s'effaça pour laisser place à une expression indifférente sur son visage, en bref, très inquiétante. Ran le dévisagea quelques instants mais Wakasa venait de disparaître de son champ de vision.

- Que...

Une poignée forte l'agrippa à l'arrière de son col et Ran se fit projeter quelques mètres plus loin avec une violence inouïe ; ce n'était pas suffisant pour qu'il perde connaissance mais au moins, il ne s'agiterait pas de sitôt. Shinichiro se précipita vers Kenza, constatant de son état et qu'elle réagissait de moins en moins au monde extérieur.

- Merde... accroche-toi, on va t'emmener à l'hosto.

- ...sen... pai...

Kenza sentit un voile d'ombre sur ses yeux et ses forces l'abandonner brusquement ; elle s'effondra. 

𝐛𝐥𝐚𝐜𝐤 𝐝𝐫𝐚𝐠𝐨𝐧𝐬 | ₍ᐢ ̥ ̮ ̥ᐢ₎ 𝐭𝐫 🤍Où les histoires vivent. Découvrez maintenant