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Il devait sûrement faire beau aujourd'hui. Depuis quelques jours, Kenza entendait un peu plus distinctement le bruit agaçant de l'électrocardiogramme, parfois, des cris dans le couloir, ou une infirmière qui venait. Elle ne savait pas à quoi se raccrocher exactement. Elle savait que la mort l'avait touchée du bout du doigt ; un moment incompréhensible, vague, un sentiment immuable de vide. L'inexpliqué dans sa splendeur.

Peut-être que Kenza s'accrochait aux moments où on venait la voir dans sa chambre, pour lui parler de tout et n'importe quoi.

Le grand lit blanc l'accompagnait depuis des semaines mais, malheureusement, il n'avait pas le don de la parole.

- ...plus important... quand tu seras... tu vou... à Je... ?

Ses oreilles lui faisaient défaut par la même occasion. Mais Kenza s'en fichait pas mal. C'était surtout la présence qui comptait pour elle. Cela la rassurait qu'on lui parle dans ce sommeil sans fin.

Une chaise grinça sur le sol. Depuis combien de temps Benkei et Takeomi étaient là ? Les pertes de conscience de Kenza arrivaient souvent sans crier gare et elle perdait la notion du temps.

- ...et comme tu aimes l'eau, ça... plaira sûrement.

- Tu crois qu'elle nous entend ?

- Peut-être... non parce que si... dort... on aura... 'lé pour rien... !

- On lui redira au réveil.

- Gé...

Les voix devinrent de plus en plus floues. Kenza ne luttait plus contre ses black-out, ça ne servait à rien et ça la vidait de toute son énergie après.

Le peu qu'elle avait.

Les bavardages s'évanouirent, le noir sidéral revint, lourd et étouffant.

***

Des jets de lumière. Un peu comme un feu d'artifices. Des voix en écho, le bip de la machine, les bandages serrés autour de la peau. Une infirmière changeait le cathéter. Cette opération se faisait toutes les 72H. Les médicaments, cette drogue infernale, s'insinuaient dans ses veines, plongeaient son corps en léthargie. Kenza ne pouvait pas boire ni manger quand elle voulait. Parfois, sa température corporelle augmentait ; une légère fièvre, et pourtant, sentir la chaleur sans pouvoir l'apaiser soi-même, Kenza se sentait mourir des dizaines de fois.

***

- Salut ! Température extérieure supérieure à 20 degrés, temps sympa. On est mardi.

Aujourd'hui aussi, il faisait beau. Kôta ne venait que ces jours-là.

- T'as pas chaud là-dessous ?

Kenza aurait voulu rire avec elle, au moins un peu, mais son corps ne réagissait pas à ses demandes. Seul le bip pouvait répondre. Kenza sentit des petites décharges au travers de ses doigts.

- J'te promets que je t'offrirai des daifuku au pamplemousse.

Un peu plus distinctement, chaque jour, celle aux cheveux roses parvenait à écouter une conversation. Si sa concentration se poussait à son paroxysme quand elle était réveillée, ses pertes de connaissance tombaient sans crier gare, sans symptômes.

- Tout plein de daifuku ! (Un silence.) J'ai croisé tes deux potes dans la matinée. Ils viendront demain dans l'après-midi. Oh ! Et tu savais que-...

***

Kenza ne faisait plus de cauchemars. À proprement parler, elle rêvait plutôt de la vie qui continuait. Sans elle. Kenza restait là à attendre. Son cœur se serrait au fur et à mesure qu'elle songeait au temps passé dans cet état de sommeil. Des semaines ? Des mois ? Il pleuvait sûrement aujourd'hui.

𝐛𝐥𝐚𝐜𝐤 𝐝𝐫𝐚𝐠𝐨𝐧𝐬 | ₍ᐢ ̥ ̮ ̥ᐢ₎ 𝐭𝐫 🤍Où les histoires vivent. Découvrez maintenant