18

627 50 58
                                    

Il lui fallait toujours un certain temps pour se réveiller. Elle n'avait rien à faire de toute façon. Elle ouvrait les yeux, constatait que la perfusion était encore là, que les rideaux n'étaient pas tout à fait fermés et que le plafond... Blanc lui aussi, comme chez sa tante. Au-delà de la fenêtre, il y avait un balcon ; si la fenêtre s'ouvrait un peu plus, il n'y aurait qu'à enjamber les barres métalliques et devenir Icare. 

Les infirmiers changeaient son bandage au bras plusieurs fois par jour.

Des cicatrices...

Elle ne se souvenait pas de ce qu'il s'était passé ; brièvement, une faim terrible et une allée aux toilettes ; et depuis quelques jours, la connaissance de cet hôpital. Quand du personnel soignant entrait dans sa chambre, Kenza faisait semblant de dormir pour écouter les conversations en fermant les yeux. Mais l'anesthésie qu'elle avait eue la fatiguait, et parfois, elle s'endormait sans prévenir.

Une fois par jour, le docteur venait la voir. Elle ne pouvait pas simuler un sommeil. Kenza se redressait simplement dans son lit, plus fatiguée que jamais et les yeux brûlants. Le docteur tenait avec lui des fiches d'analyse.

- La prise de sang a révélée un taux de glycémie assez bas et un problème de nutrition. Avant que je ne te dise le diagnostic, je vais te poser quelques questions.

Le docteur parlait doucement. Kenza aimait bien l'écouter, ses yeux ne la dévisageaient pas avec une pointe de jugement. Au Japon, le suicide de cette manière était vu comme un déshonneur vis-à-vis de la famille et des autres proches.

- Comment te sens-tu aujourd'hui ?

- Fatiguée.

- D'ici quelques jours, ça ira mieux. C'est ce que j'espère pour toi. (Il remonta ses lunettes sur son nez.) À quelle fréquence mangeais-tu avant ton hospitalisation ?

Parmi ses papiers, il sortit une fiche colorée, allant du vert jusqu'au rouge, représentant divers états de nutrition. Kenza l'effleura à peine du regard.

- J'essayais de manger quand je pouvais. Parfois ça passait, d'autres non.

- Je vois. Votre taux de stress est élevé aussi, votre corps lance des appels à l'aide. Faites-vous face à une situation difficile ?

Une situation difficile ? Le mot était faible, trop faible. Kenza se rembrunit et ne répondit rien du tout.

- Je m'excuse de la question.

Vous faites votre travail, ce n'est pas de votre faute.

- Je suis donc au regret de vous informer que vous souffrez de boulimie et de dépression.

Alors c'était pour ça que son œsophage la brûlait autant, qu'elle passait par des crises importantes de faim excessive, que son poids faisait le yo-yo d'une semaine à l'autre. Sans parler de cette sensation de vide, d'étouffement constant et d'une paralysie mentale à vouloir faire des choses dans la maison ou en dehors ; une léthargie dans son lit.

Si je mange, je sais que les crises vont revenir. Si je mange peu, je vais avoir des vertiges, des tremblements, je vais me sentir mourir ; si je mange trop je vais...
Mon estomac ne crie pas famine, tout est dans ma tête ; je le sais, mais je ne peux pas m'empêcher d'écouter. Quand les nausées ne viennent pas, je m'autorise à manger petit bout par petit bout ; la limite s'offre à moi quand ma tête tourne, que mon estomac se soulève ; quelques pas ; je vomis plus que ce que j'ai mangé.

Le même cycle recommence jour après jour.

Je suis fatiguée. 

**

𝐛𝐥𝐚𝐜𝐤 𝐝𝐫𝐚𝐠𝐨𝐧𝐬 | ₍ᐢ ̥ ̮ ̥ᐢ₎ 𝐭𝐫 🤍Où les histoires vivent. Découvrez maintenant