Chapitre 39 ✅: Ruth, June.

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Londres, Westminster…

Dans l'arrière-boutique de Fernand Stanford, Ruth avait trouvé de quoi se sécher et se changer. Elle avait bien évidemment insisté pour se changer seule dans cette pièce qui tenait aussi lieu de stockage, et son vieil ami ne s’était pas gêné pour sortir un commentaire moqueur car il « le » jugeait trop pudique à son âge.

Une fois vêtue d’une chemise beige en lin, d'une veste longue et d'un pantalon noir – tous trop grands pour elle mais qui avaient le mérite de lui tenir chaud –, elle permit à Alfred et Lana la rejoindre à l’intérieur, puis referma la porte. Fernand resté derrière son comptoir, discutait avec deux clients importants qui venaient acheter plusieurs œuvres au coût élevé.

Les deux femmes allèrent prendre place sur un petit banc en bois accolé au mur et Alfred sur un haut tabouret en face d’elles. La lumière entrait par une large fenêtre à barreaux ouverte sur la rue. Le marquis ne pouvait s’empêcher de détailler sa compagne du regard. Avec ses cheveux noirs qui auréolaient de bouclettes folles son visage, du fait de l'humidité, ce malgré le catogan qui les emprisonnaient, il lui trouvait un charme encore plus affriolant. Réprimant la tentation de passer la main dans cette tignasse indomptable, il détourna le regard vers Lana. Celle-ci se releva et partit se poster à la fenêtre afin de guetter l’arrivée des potentielles pensionnaires. Ces dernières étaient censées les rejoindre dans une trentaine de minutes environ.

- Vous dites très bien connaître cette femme à qui Rupert a donné de l'argent ? entama le marquis.

- Oh, oui. Nous la connaissons quasiment tous par ici, répondit la ravissante quadragénaire sur un ton amer. C'est Jessy Mach, cette pauvre femme a vécu bien des déboires.

- J'aimerais connaître son histoire par simple curiosité, fit Ruth. C'est possible, Lana ?

- Bien sûr, surtout qu'il n'y a rien à cacher, répondit son amie en haussant nonchalamment les épaules. Comme bon nombre de gosses dans le coin, elle a grandi dans un orphelinat. Dès qu’elle a été trop âgée pour rester dans l’établissement, elle s’est trouvée un petit métier pour survivre.

- Je vois. Elle n'a pas eu la chance d'être adoptée assez tôt par une famille bienveillante.

- Oui. Par contre, à treize ans, elle a été prise sous l'aile d'un instituteur et son épouse. Elle a été leur bonne à tout faire quelques années. En échange, ils lui offraient le gîte, le couvert et quelques pièces mensuelles.

- Humm.

- Mais, peu de temps après son dix-septième anniversaire, elle s'est retrouvée enceinte. Un matin, elle a été mise à la porte. La scène était vraiment navrante à voir. La pauvre pleurait, suppliait et criait en affirmant que ce n'était pas sa faute.

- Un abus, je suppose.

- Oui, celui de l'instituteur, mais personne n'a voulu la croire. Sa tutrice l'a traitée de menteuse et de fille facile comme on devait s'y attendre, protégeant ainsi la réputation de sa famille. Quant au mari, il n’a pas été inquiété alors qu’il avait agressé plusieurs fois une innocente.

Ruth acquiesça pour l'encourager à parler. Son interlocutrice lui conta l'histoire dans les grandes lignes. Jessy, suite à sa situation précaire – meurtrie, enceinte et seule –, avait eu la chance d'être recueillie par une de ses amies dans une petite chambre louée jusqu'à la naissance de l'enfant. Elles travaillaient dans une usine de fabrication de tabac afin de subvenir à leurs besoins, gardant le môme à tour de rôle. Trois ans après, la ressemblance de son fils avec l’instituteur était devenue flagrante. Les gens commençaient à jaser. Alors le maître d’école se rendit chez Jessy pour la menacer et la sommer de disparaître avec l'enfant, ce qui la mit dans une grande fureur. Ils se querellèrent au vu et au su de tous. Tout le monde en comprit la teneur. Cet homme qui n'avait pas eu de garçon avec sa femme, déclara qu'au moment venu, il récupérerait le garçonnet pour refaire son éducation. Il cracha son venin au visage de Jessy en disant qu'il se fichait de savoir ce qu'elle avait éprouvé lors de ses multiples assauts et que l'enfant, une fois grand, lui pardonnerait son « erreur » passée. Pour ce faire, il précisa qu’il suffirait de lui offrir un peu d'argent, des cadeaux de temps à autre et des miettes d'affection. Ces mots avaient occasionné des cris et gestes hystériques de la part de la jeune mère, que son amie avait heureusement pu calmer après avoir chassé le responsable de cette crise.

Les Rebelles De Londres [Histoire Terminée Et Éditée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant