Abasourdie par les confidences de lord Alfred, Ruth ne savait quoi penser, ni quoi dire.
- Je... Excusez-moi, balbutia-t-elle finalement, mais j'ai du mal à croire que lady June ait pu avoir des complexes par rapport à son apparence. Cette femme... Enfin, elle est beaucoup trop attirante !
- C'est pourtant vrai, je vous l'assure, affirma-t-il. Du vivant de feu sa mère, cela n'avait pas un grand impact sur elle, car elle savait choisir les bons mots pour la rassurer. Mais tout à basculer à sa mort. Ce qui n'avait été alors que des piques lancées de temps à autre, s'est transformé en un harcèlement quotidien.
Le marquis lui apprit quelques moqueries cruelles auxquelles la jolie rousse avait été sujette, les multiples remarques déplacées sur ses rondeurs charnues. Il lui révéla l'ampleur de l'implication des proches de June dans cet acharnement - des parents éloignés aux amis de la famille, des plus jeunes en particulier qui se réunissaient parfois pour la dénigrer et rire d'elle. La personne en tête des groupes n'étant ni plus ni moins que la sœur aînée même de la victime, qui puisait un immense plaisir dans ce jeu cruel.
Il parla du rôle d'Adrian et cela ne la surprit qu'à moitié. Son frère, bien qu'il ne le fît pas dans la masse - étant trop snob pour cela -, avait énormément contribué à détruire l'estime de la jeune fille. Il l'avait rabaissée et humiliée à la moindre occasion des dizaines de fois, des centaines peut-être, car ce cauchemar s'était prolongé sur le long terme. Sans qu'Élias ne daigne agir pour défendre sa petite sœur. Apparemment, cette dernière n'avait dû compter que sur elle-même pour qu'on ne la brise pas, mais avait aussi pleuré de nombreuses fois dans le secret de son intimité, puis avait fini par se croire réellement repoussante. Il avait fallu qu'elle fasse la connaissance d'Alfred pour comprendre toute la méchanceté qu'elle avait subie et, enfin, relever la tête fièrement et se trouver belle ainsi.
- Pourquoi Elias s'est-il tu pendant que l'on détruisait sa sœur ? s'interrogea Ruth. Je ne comprends pas.
- Il est le seul à pouvoir répondre à cette question, Ruth, soupira le marquis. Je peux simplement assurer fermement que June ne méritait pas qu'il lui tourne le dos. Il ne se joignait jamais aux moqueries, mais restait en retrait, silencieux, sans jamais lui venir en aide. En quelque sorte, il s'est rendu complice des persécuteurs de June.
La jeune femme était sidérée. Alors, ainsi, avant d'être une femme épanouie et confiante, lady June avait été une jeune fille en souffrance, ridiculisée par pure méchanceté. Pire encore, elle n'avait jamais dû se sentir à sa place en société et dans sa propre famille ! Avec une sœur qui la méprisait et un frère qui semblait faire peu de cas de ses sentiments, Ruth se demandait comment la jeune femme avait pu tenir le coup et remonter la pente avec autant de persévérance et de bravoure. Et elle qui l'avait jugée frivole et par trop privilégiée pour connaître la douleur du rejet ! Elle en eut un haut-le-cœur. Comment avait-elle pu être aussi étroite d'esprit ? se réprimanda-t-elle intérieurement. À la réflexion, elles n'étaient pas si différentes et partageaient même des points communs. Quant au choix de lady Iris de l'intégrer au Home Revival, il avait été mûrement réfléchi et non pris sur un coup de tête. La belle rousse faisait, d'ailleurs, des merveilles auprès des pensionnaires, les réconfortant et les aidant à se réconcilier avec elles-mêmes avec patience et altruisme. Son passé lui permettant de comprendre au mieux leurs besoins. Pour autant, personne ne pouvait soupçonner les brimades et les railleries vécues par cette femme pleine d'assurance qui séduisait son monde comme si elle n'avait aucune blessure. Et elle était bien la première à s'être fourvoyée à ce point ! réalisa Ruth.
- Je suis désolée pour elle, émit-elle. J'ignorais totalement que sous sa facette confiante et légère, il y avait de telles blessures.
- Nombreuses sont les personnes qui ne le savent pas ou qui ont choisi de l'oublier. June peut être fière d'elle, et ce n'est pas grâce à son frère ou à votre cousin.
VOUS LISEZ
Les Rebelles De Londres [Histoire Terminée Et Éditée]
Historical FictionAngleterre 19eme siècle, Londres... Lady Iris, comtesse de Rothwell, est une jeune veuve que la vie n'a pas épargnée. trahie, blessée et rejetée par des personnes en qui elle avait mis sa confiance, elle a développé un cœur de glace selon la rume...