Dix-huit années plus tôt, palais ducal du cercle des Merveilles, Ihime, capitale de Rhün.
Un hurlement puissant déchira l'air, résonnant dans les couloirs du palais, se répercutant dans chaque pièce jusqu'à atteindre la cours principale, surprenant tous ceux qui l'entendirent.
C'était un hurlement de douleur, jaillissant des tripes, trahissant une souffrance déchirante. Mais c'était également un hurlement guerrier, presque inhumain, comme seuls les plus grands combattants skÿulls, ces vikings du continent qui parvenaient parfois à traverser l'océan cyclone, étaient capables d'en lâcher. Il semblait venir d'un autre monde, s'échapper d'un enfer en proie au chaos, pour venir frapper chaque homme, chaque femme et chaque enfant en plein cœur. Puis il mourut et ce fut un autre son, plus fluet mais tout aussi puissant qui retentit.
Les pleurs d'un nouveau-né.
Mara se relaissa tomber sur ses oreillers, en nage, essoufflée. Sa gorge la brûlait d'avoir tant crié tandis même que tout son corps était douloureux, comme s'il avait été déchiré en deux. Et c'était un peu la sensation qu'elle avait eu durant ces dernières heures de dur labeur. La mise au monde avait été un véritable cauchemar. Plusieurs fois, servantes et sages-femmes avaient cru que la jeune femme de seize ans allait s'évanouir face à la souffrance. Mais elle était restée éveillée jusqu'à la délivrance, transformant cet accouchement en combat.
À présent, complètement affalée sur les draps, elle tentait de retrouver son souffle et de ne pas sombrer dans les limbes, son esprit s'enfonçant dans une étrange fièvre. Tour à tour, elle se sentait prête à s'effondrer ou alors à sauter sur ses pieds. Son sang pulsait dans ses veines à chaque battement de cœur, comme un serpent animé par une faim furieuse et aliénée.
Tout était flou, tout était sombre. Les bruits étaient déformés, comme si elle se trouvait sous l'eau et tous ses muscles étaient endoloris. Mais c'était fini. Enfin fini.
Une voix perça le brouillard.
« C'est une fille, Madame.
Se redressant comme elle le pouvait sur ses oreillers, la jeune duchesse accueillit au creux de ses bras cette enfant. Son enfant.
Aussitôt qu'elle sentit ce poids léger sur sa poitrine, il lui parut qu'un nouveau souffle d'énergie se répandait dans ses veines. Elle tressaillit en même temps que son cœur. C'était comme si une vague chaude, douce, cajoleuse s'emparait d'elle pour atténuer quelque peu sa douleur.
Elle peinait à en revenir.
Toute cette souffrance, toute cette lutte, tous ces efforts pour... Cette petite fille, cette poupée si fragile. La blonde était certaine qu'un rien pourrait l'emporter, comme un papillon, si beau, si délicat...
Ce petit être dans ses bras, encore rouge, emmitouflé dans des draps aux couleurs du cercles des merveilles, gigotait faiblement. Obnubilée par cette vision, elle ignora complètement l'arrivée d'une nouvelle personne. Pourtant, cette présence sinistre à ses côtés suffit à briser la bulle qui l'avait un instant entourée, la ramenant brutalement à la réalité.
— Une fille... ricana une voix amère avant de reprendre : la seule valeur qu'elle aura, c'est en tant qu'épouse de réceptacle.
Voilà à quoi servaient les filles aux cercles des merveilles. On les mariait pour que des hommes puissent accueillir en eux des daemons. C'était la condition sine qua non. Il n'y avait pas d'autres destins pour une femme hormis celui-ci. Une voie tracée d'avance. Tracée d'avance par des hommes tels que lui...
Mara ne réagit pas à la réplique acerbe. Elle s'en fichait. Qu'elle ait un fils ou une fille, cela lui importait peu.
— Choisissez-lui un nom, ordonna cette voix grave et autoritaire.
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Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sang
FantasíaNul ne sait d'où vient la sublime duchesse Mara Meravigliosa, dont les appâts viennent troubler la cour de Navarie. Elle est arrivée un beau matin et n'est plus jamais repartie. Une arrivée que la reine voit d'un mauvais œil. L'ambitieuse Mara l'inq...