Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sang

Intermède.

Sept années plus tôt, Sinta Porto, capitale du duché d'Irigua.

Les ténèbres avaient toujours été sa maison.

Elles l'enveloppaient tel un châle maternel, un havre de paix où rien ne comptait hormis les ténèbres elles-mêmes. Il n'y avait plus ni haine, ni amour, ni chaos. Seulement les ténèbres.

Aleksi avait longtemps erré dans la pénombre alors même qu'une part de son être y était entièrement vouée. La créature infernale qui habitait son cœur était un être de l'obscure. Là où certains daemons maîtrisaient les éléments, guérissaient d'un seul toucher et pouvaient accomplir bien d'autres miracles, le sien était entièrement tourné vers les ombres.

Il se glissait dans celles-ci pour ne former plus qu'un avec elles.

Aussi, évoluait-il sans la moindre difficulté dans les couloirs obscures dans lesquels l'entraînaient la Meravigliosa. Il suivait la silhouette gracile de la jeune femme jusque dans les souterrains du petit château dans lequel elle avait élu domicile. Il y faisait sombre et une certaine fraicheur y régnait, contrastant avec l'intense chaleur qui brûlait les toits de la capitale en cet été flamboyant.

L'adolescent tout juste venait de rentrer d'un long séjour à Monterfortino, une des demeures que la duchesse possédait dans les monts, aux confins entre la Navarie et l'Irigua. Son retour à la cour ducale avait été nimbé d'une ambiance différente de l'ordinaire. Lorsqu'il était parti parfaire son entraînement, il était encore jeune, presque un enfant. Plusieurs mois après, il était devenu un vrai jeune homme, âgé désormais de seize ans.

Et bien des choses avaient changées.

À commencer par ce qu'il ressentait en présence de la duchesse des merveilles. Jadis, il voyait en elle celle qui l'avait sauvée et recueillie. Elle était cet ange apparue une nuit de tempête, alors qu'il venait de faire un terrible cauchemar. Il avait éprouvé à son égard une subite adoration, timide et maladroite, teintée d'une reconnaissance profonde. C'était un sentiment enfantin, doux, innocent.

Mais depuis qu'il était revenu, cette adoration s'était changée en quelque chose de bien plus profond, tourmenté et violent. Mara occupait ses pensées, nuit comme jour. Chaque fois qu'il se trouvait en sa présence, c'était comme si son corps s'embrasait et une main vorace s'emparait de son cœur pour le réduire en lambeaux. Il n'osait encore mettre de mots sur ce qu'il ressentait. Mais il sentait petit à petit que cela tournait à l'obsession...

Et désormais, même dans les ténèbres, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une fascination dévorant pour la sublime femme. La pâleur de sa chevelure tranchait sur les couleurs vives de sa robe iriguoise.

À vingt-six ans elle était plus belle que jamais. Une véritable fleur que tous convoitaient.

Quant à son parfum envoûtant, mélange fruité et sauvage, il avait envahi le corridor sombre, tâche de beauté dans cet endroit sale, à peine éclairé, dont les murs étaient délabrés.

Elle poussa enfin une petite porte, dévoilant une petite cellule plongée dans l'obscurité. Le trait de lumière que laissait passé l'embrasure illumina un pauvre jeune homme assis sur un ballot de pailles, vêtu misérablement, l'air terrorisé.

Mara le toisa un instant avant de se tourner vers son jeune mercenaire, lui adressant un sourire pétillant de malice, ses iris bleus luisant d'une douceur presque maline.

« Aleksi je te présente, Pedretto. Pedretto est un palefrenier des écuries royales. Pedretto, je te présente Aleksi, ma petite ombre favorite.

Il ne cilla pas face à ces présentations, se contentant d'observer le malheureux prisonnier. La peur marquait ses traits et il dévisageait avec une terreur profonde les deux nouveaux venus. Aleksi n'était habitué à ce qu'on pose sur lui un tel regard effrayé. Il sortait tout juste de son entrainement. On lui avait appris des choses que beaucoup jugeraient affreuses, inhumaines. Et pourtant, jusque-là, ses mains demeuraient encore vierges de tout sang.