Chapitre 25.

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La coche était agitée par les cahots de la route méridionale. Les rayons du vif soleil d'été filtraient à travers les persiennes lourdes qui couvraient les portières et maintenaient l'intérieur de l'habitacle dans une semi-obscurité. Il y faisait frais malgré la chaleur extérieure.

Assise sur la banquette, les jupons gris perle étalé en une corolle de satin autour d'elle, Mara lisait, silencieuse. Dans ses mains, elle tenait un livre de vers iriguois, écrit par un poète connu sur tout le continent. Un certain Durante Bardi, auteur des Tragédies infernales. Dans ses poèmes, il dépeignait l'Homme dans toute sa splendeur, toute sa noirceur... Traitant de tout, d'amour ou de pouvoir, il parlait aussi bien de guerre, que de vie quotidienne et même de religion. La Foi n'avait atteint son apogée dans l'art qu'à travers ses rimes célébrissimes. Nul doute que la duchesse trouvait à cette œuvre un charme certain. Ses lèvres incurvées en un sourire léger, ses yeux bleus ne quittaient pas les pages, pétillant étrangement. Si le poète avait été encore vivant lors de son séjour en Irigua, elle n'aurait guère hésité à le séduire. Il représentait tout ce qui la fascinait, loin du danger certain des hommes tels que son époux... Il était un artiste. Et dans un certain sens, les artistes étaient peut-être plus puissants encore que les daemons. Car leur folie en eux, cette folie créatrice ne venait pas d'un autre monde. Elle venait de leurs cœurs.

Et pendant quelques instant, son esprit s'évadait à travers les vers jusqu'à quitter cette réalité où elle était empêtrée dans un jeu dangereux.

Aleksi l'observait faire, assis sur la banquette face à elle. Il aimait peu voyager en coche. Ce qu'il préférait, c'était monter à cheval, battre la campagne au galop, sentir le vent siffler à ses oreilles, tel un esprit furieux désirant le jeter à bas. Plus la bête était sauvage et plus il aimait ces instants de pure et totale liberté où une simple chute pourrait se révéler plus mortelle que tout... et tandis qu'il ne craignait guère de mourir, frôler cet état de limite le rendait plus euphorique que jamais.

C'était l'action pure, la nature qui régnait seule, la loi intransigeante de celui qui oserait défier la déesse du destin le plus loin possible.

Ici, dans cet espace clos, renfermé, il se sentait à l'étroit. Il était si grand qu'il avait failli s'assommer une ou deux fois sur le plafond et il ne pouvait étendre ses jambes. Il aurait pu aisément prendre place aux côtés du cocher, peut-être même chevaucher près du véhicule. Mais la Meravigliosa avait absolument tenu à l'avoir auprès d'elle. Et au fond de lui, Iskela jubilait de tout ce temps passé à proximité de la merveilleuse duchesse. Ils se frôlaient parfois, leurs souffles se mêlaient sans que pourtant il ne la touche jamais. Et Aleksi... Aleksi tempérait les ardeurs de son démon, rencogné contre la portière, son chapeau noir à moitié rabaissé au-dessus de sa tête, sa main gantée de cuir emprisonnant fiévreusement le pommeau de son épée.

« Aleksi...

Il releva la tête, surpris qu'elle l'interpelle.

Elle avait refermé son livre et dardait désormais sur lui ses prunelles bleues, tranchant avec la semi-obscurité de l'habitacle. Assurée d'avoir capté son attention, elle enchaîna aussitôt de sa voix douce, enjôleuse :

— Comment est Montefortino ?

Surpris par la question, le mercenaire fronça des sourcils.

— C'est votre demeure, madame.

— Mais tu y as résidé plus que moi. Tu y as passé plusieurs mois...

Les souvenirs de ces quelques mois lui remontèrent en mémoire comme autant de flash. Ces moments avaient été à la fois douloureux puisqu'il avait dû être éloignée d'elle mais parallèlement... Pendant ces quelques mois, il avait vécu avec des garçons de son âge, ses anciens compagnons de l'orphelinat... Et il s'était senti un peu plus normal, un peu moins différent.

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant