Intermède.

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Quatre années plus tôt, Losthange, capitale de la Navarie.

Depuis quelques jours déjà, une certaine frénésie s'était emparée du manoir qui bordait le bois de la reine. Lui, d'ordinaire si éteint depuis que ses derniers propriétaires étaient morts, semblait revivre. Des serviteurs s'afféraient à nettoyer, tailler les haies et arranger quelque peu son aspect, afin qu'il ait l'air moins abandonné. Les fenêtres de la tourelle principale étaient grandes ouvertes. Le château reprenait vie.

Le notaire des derniers résidents, qui faisait office de propriétaire étant chargé du legs de la demeure par testament, observait l'avancée des aménagements d'un œil sévère. Dans la quarantaine, il lissait du bout des doigts la moustache qui grignotait sa lèvre supérieure, conférant à son visage anguleux un air de fin négociateur.

« Pourquoi une telle effervescence au manoir ? s'enquit un autre homme, en ôtant son chapeau respectueusement.

— J'ai reçu une lettre il y a deux jours. Un potentiel acquéreur arrivera dans la journée. Je veux que ce manoir resplendisse.

Le notaire était impatient de s'en débarrasser. Le bâtiment était trop grand et trop majestueux. Il était trop coûteux de s'en occuper et s'il parvenait à le vendre, il était certain d'empocher une jolie somme.

— Qui est cet acquéreur ?

— Je ne sais rien de lui. Seulement qu'il est très riche.

— Hé bien, que le bon dieu soit avec vous...

Il remercia le passant qui s'éloigna.

Ce fut un à cet instant que les hennissements de chevaux couvrirent le bruit du ballet des serviteurs. Un fiacre s'arrêta devant le manoir délaissé, ses roues crissant contre les pavés. À ses côtés, un cheval noir comme la nuit arriva à son tour. L'homme sur son dos sauta au sol. Lorsqu'il releva son visage, à moitié dissimulé par le chapeau obscur qui le coiffait, le gentilhomme eut la surprise de découvrir un tout jeune homme, qui devait à peine sortir de l'adolescence. Mais son expression était froide et la balafre sur son visage ne faisait qu'accentuer l'air mauvais de ses traits.

Diable, ce jeune homme lui donnait des sueurs froides !

L'étrange individus ouvrit la portière du carrosse et tendit la main à son occupante. Une main gantée dans un cuir finement travaillé s'y glissa, ornée d'une chevalière somptueuse sur lequel se trouvait un rubis ciselé, sur lequel étaient gravés d'étranges symboles.

Vêtue d'une pelisse rouge sombre dont les manches, bordée de fourrure d'hermine tombait jusqu'au sol, une dame posa pieds à terre avec grâce, relevant son visage. Ses yeux d'un bleu perçant parcoururent un instant la façade du manoir. Un instant, le jeune homme qui lui tenait la main murmura quelques mots à son oreille tandis qu'elle esquissait un léger rictus, s'avançant dans la cours, tête haute, affichant l'air digne d'une grande dame. Elle toisa un instant le manoir qui se dressait devant elle, ses sourcils blonds froncés, avant de hocher la tête d'un air appréciateur.

— Ici. Ce sera parfait.

Derrière elle, une jeune fille, encore adolescente, descendit à son tour du fiacre, resserrant les pans de sa pelisse rose pâle autour d'elle.

S'avançant vers le notaire, la dame inclina la tête avant de se présenter d'une voix claire, presque envoûtante en tendant sa main délicate dans sa direction :

— Duchesse Mara Meravigliosa.

Il entreprit de lui faire un baisemain sans pouvoir s'empêcher de lorgner le rubis à son doigt.

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant