Prologue.

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Les violons jouaient de joyeuses chansons. La foule de nobles, drapés dans leurs soies, taffetas et velours, se mouvait dans un nuage de poudre et de parfums entêtants. L'ivresse se mélangeait à l'allégresse. Les centaines de chandelles produisaient toutes cette lueur rouge et dorée hypnotisante qui conférait à la scène un aspect presque irréel, presque idyllique.

Aleksi soupira, sa main effleurant le pommeau de son épée. Ce bal commençait à l'ennuyer. C'était encore et toujours le même défilé d'illusions et d'apparences factices. Il ne s'y sentait pas à sa place et se lassait des mêmes valses, des mêmes pas et des mêmes discussions qui revenaient sans cesse. Il n'avait rien à faire ici. Il était un homme d'action. Ce qu'il aimait c'était faire ce pour quoi il était né. Ce pour quoi il avait été élevé.

Sa mission.

Il devait pourtant se contenter de toiser, tel un vautour sur sa branche, les danseurs et autres convives qui se mouvaient sous ses yeux, masse informe et qui n'avait pas le moindre sens à ses yeux. Tout ici était vain.

Parmi tout ce beau monde, il n'y avait qu'une seule chose, qu'une seule personne qui parvenait à captiver l'intérêt du jeune homme un tant soit peu dans cette foule hypocrite qui lui était antipathique à souhait. La maîtresse des lieux. La célèbre duchesse Mara Meravigliosa.

Impossible de ne pas la voir. Impossible de ne pas la remarquer.

À trente-quatre ans, elle rayonnait toujours du même éclat qu'au cœur de sa jeunesse. Rien n'était venu entamer sa beauté mortelle que l'âge n'avait fait qu'accroître. Ses yeux très clairs, d'un bleu glacial, étaient sertis d'un cercle noir qui donnait une telle profondeur à son regard qu'il semblait pouvoir paralyser d'un seul coup d'œil n'importe qui le croiserait. Tout était polaire chez cette femme, de ses prunelles semblables à des lacs gelés, jusqu'à sa peau diaphane en passant pour sa chevelure d'un blond si pale qu'il en paraissait parfois blanc. Une chevelure qui n'était jamais libre, toujours maintenu dans un chignon bas, agrémenté de tresses, de perles ou de plumes et recouverts d'un filet éternellement assorti à sa tenue.

Aleksi observa un instant la duchesse, qui évoluait parmi ses invités avec grâce. L'homme de main nota l'absence du dernier amant en date de la maîtresse des lieux à ses côtés. Ce ne fut d'ailleurs pas le seul à constater ce fait : les autres hommes, qu'ils soient mariés ou non, ne pouvaient détacher leur regard de cette sublime créature qui se pavanait dans sa robe azure. La convoitise qui luisait dans leurs yeux avides ne provoqua qu'un ricanement amer chez le jeune homme qui plaignait en secret ces nobles d'être tombés dans le piège que leur tendait la Meravigliosa.
Il se demandait quel serait le prochain à voir ses désirs réalisés. Quel serait le prochain à penser posséder ce qui n'appartiendrait jamais à personne...

Enfin, pour cela, il faudrait que l'actuel amant de la sublime dame, un chevalier charmant et impétueux, disparaisse du tableau. Et aux vues de l'empressement qu'il fournissait auprès de sa maîtresse, cela était fort peu probable qu'il le fasse de lui-même.

Malgré ses charmes certains et l'attirance presque surnaturelle qu'elle exerçait sur eux, jamais aucun de ces nobles ne s'était battu pour s'attirer les faveurs de la Meravigliosa. Aleksi attendait avec impatience le moment où cela arriverait, dans une sorte de jubilation malsaine, issue d'un ennui mortel. Mara était capable de convaincre n'importe qui de verser du sang pour elle.

Et de cela, il pouvait en témoigner...

Mais ce ne serait pas pour ce soir-là. Une autre issue attendait ces festivités... Et il s'ennuyait terriblement. Rien ne nécessitait plus sa présence à ce bal hormis les caprices de sa maîtresse et les apparences qu'il devait maintenir concernant sa fonction. Quel piètre garde du corps ferait-il s'il quittait du regard un seul instant ce qui devait être l'objet de toute son attention ! Non pas Mara - fou était celui qui pensait qu'elle avait besoin de la protection de qui que ce fût - mais sa fille, de cinq ans plus jeune que lui.

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant