Chapitre 28

80 22 0
                                    

Près d'un mois s'était écoulé depuis leur arrivée dans les montagnes. Entre entraînements militaires, promenades sur les chemins forestiers et visite dans les villages en contrebas de Montefortino, le temps avait filé à toute vitesse, insaisissable. L'été s'était tant avancé que le solstice avait été dépassé et que les journées recommençaient à raccourcir. Pourtant, la chaleur, elle, ne tombait pas. Il soufflait toujours, malgré l'ombre des grands pins, un air brûlant, porteur des températures méridionales, chargé des effluves chauds du désert jihilien, bien plus au sud que le duché d'Irigua.

Mara semblait avoir repris des couleurs, l'ombre de la souffrance hantait moins son regard. Comme si aucune dague ne s'était enfoncée dans ses chairs un mois plus tôt, comme si elle n'était pas traquée comme une bête en fuite. Son regard avait retrouvé sa clarté passée et ses sourires s'offraient aussi spontanés qu'auparavant même si bien plus sincères. Auprès de ses "garçons", comme elle aimait à les nommer, pas de faux semblants.

Soulagé, Aleksi se mêlait bien plus librement aux hommes des troupes de la Meravigliosa, demeurant toujours un peu plus tard en leur compagnie le soir. Il profitait de l'atmosphère fraternelle et amicale qui régnait, buvant et se partageant des histoires et des anecdotes, riant, comme s'ils n'étaient pas tous des assassins entraînés depuis longtemps, dans le but de combattre un danger obscur. Et pourtant, tous ici avaient conscience du but de leur mission. Cela ne les empêchait pas, dans leur forteresse au sommet de la montagne, de savourer la vie, et le mercenaire démoniaque les rejoignait dans leur bon vivant après les entraînements.

Mais chaque nuit, il remontait jusqu'à la tourelle, frappait deux fois à la porte de la duchesse et après une ou deux parties de Marata, si elle était réveillée, il s'assoupissait sur le lit de camp où à ses côtés directement, sans qu'il ne se passe jamais autre chose. Il la veillait simplement dans l'obscurité, la crainte terrible de voir survenir le danger ne le lâchant jamais, pas même lorsqu'il fermait à son tour les yeux. Ses songes, alimentés par Iskela, le ramenaient toujours inévitablement à cet ennemi qu'il ne connaissait guère mais dont l'ombre menaçante s'étendait au-dessus d'eux un peu plus à chaque instant.

Tant qu'il faisait jours, l'inquiétude s'endormait. Mais dés le retour de l'obscurité, elle rejaillissait. Même en maîtrisant les ténèbres, on ne savait pas réellement ce qu'elles pouvaient dissimuler.

Une obscurité désormais troublée par les flammes d'un immense feu de joie, au centre de la grande cour. C'était la Sinta Notte, une tradition venue d'Irigua jusqu'à cette région bien trop imprégnée des cultures des deux états voisins. On fêtait la nuit durant laquelle la constellation des anneaux apparaissaient dans le ciel. Même sans être un fidèle, cette fête était tant devenue populaire que les mercenaires de la Meravigliosa l'avaient adopté et elle-même se mêlait à eux en cette douce et chaude nuit d'été.

La musique qui s'élevait n'avait rien de Navarien. C'était un mélange de rythmes rhünois aux inspirations irigoises, mélangeant des instruments plus méridionaux que ceux de l'île septentrionale. Les rites se mêlaient, on chantait et buvait, on dansait et s'esclaffait dans une atmosphère festive de pure ivresse.

Comme pour oublier les batailles à venir.

Aleksi se faufilait entre les autres hommes, cherchant dans la foule la duchesse, son regard aussitôt aimanté par sa silhouette gracile se découpant dans la lumière vive du feu, sous les étoiles qui tapissaient au-dessus d'eux le ciel nocturne. Sa robe rouge éclatante semblait refléter l'ardeur du foyer à quelques mètres d'elle, autant que le rubis qui pendait au-dessus de son front.

Bien qu'il fût saisi quelques instants par cette vision, son cœur s'emballant dans sa poitrine, il s'arracha à sa contemplation pour la rejoindre en quelques pas.

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant