Intermède.

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Quatorze années plus tôt, quelque part dans la Forêt Noire, Rhün.

La lune était haut dans le ciel et la brume louvoyait entre les arbres de la forêt noire. Au creux des bois, dans sa hutte éloignée de toutes villes, La Saldìs, dernière sorcière des tribus du nord à encore être en vie, rajouta du feu sur le foyer. Dans l'ombre rougeoyante de l'âtre, ses longs cheveux noirs comme la suie, tressé sur son crâne et piqueté de perles en bois prenait des reflets ocre. Sur ses traits mâtes et lisses, la pénombre sculptait les lignes de son âge avancée. Dissimulée ainsi, protégée par la nature, elle avait réchappé au massacre commandé par le cercle des merveilles.

Ceux qui connaissaient son existence venaient parfois lui rendre visite lorsqu'ils étaient dans le besoin. On lui achetait des onguents, des amulettes ou encore des totems. L'île de Rhün était partagée entre foi et superstition. Les croyances y étaient toutes plus mélangées et diverses les unes que les autres. On y obéissait aux membres du cercle comme on obéirait à des divinités descendues du cercle.

Mais la magie que la Saldìs pratiquait était considérée comme interdite. Aussi, n'était-elle pas surprise de voir surgir, au beau milieu de la nuit, des visiteurs drapés d'obscurité, souvent en proie au désespoir et prêt à payer cher pour avoir un remède à leurs maux, malgré l'illégalité de tout ceci.

Toutefois, ne s'était-elle pas attendue ce soir-là à voir pénétrer dans sa hutte un garde, solidement armé, et sur le buste duquel était brodé, discrètement, le blason du cercle des merveilles. La sorcière se figea sans céder à la peur. S'il était venu pour la tuer, il serait déjà en train de l'attaquer.

À la suite de l'homme, une silhouette féminine en franchit le seuil, emmitouflée dans une épaisse cape en fourrure. Elle tapa des bottes sur le perron, se débarrassant de la neige qui s'était incrustée sur l'épaisse semelle avant d'avancer au centre de la petite habitation. La propriétaire de celle-ci observa faire cette visiteuse, à priori membre du cercle à en croire la richesse de ses vêtements d'un bleu nuit brodé d'or. La nouvelle venue abaissa son capuchon, révélant ses cheveux d'or parsemés de multiples tresses, ornées de perles anthracite et ses yeux d'un bleu perçant. Elle toisa un instant la Saldìs avant d'esquisser un petit rictus, s'appuyant sur une table, avec une dignité difficilement égalable. D'un ton serein, elle s'enquit :

« Tu es la sorcière ?

L'interpelée plissa des yeux. Peu impactée par l'interrogation, elle reconnut aussitôt celle qui se tenait devant elle. Ses lèvres se tordirent en un rictus tandis qu'elle répliquait, sur le même ton :

— Et vous, vous êtes la duchesse Fordaemdi.

Mara leva le menton, sans que son expression impassible ne change.

— C'est Dásamlega. Et ce depuis six ans.

— Mais dans votre cœur, vous demeurerez toujours une Fordaemdi.

Cette réponse parut agacer la visiteuse, qui tiqua. Rejetant les pans de sa cape en arrière, elle s'avança de quelques pas pour toiser la sorcière. Ses traits étaient crispés dans un mépris cinglant et son regard azure étincelait d'une froideur que la Saldìs avait rarement vu. Quelque chose chez cette duchesse-là était plus démoniaque encore que chez son époux.

— Je ne suis pas venue ici pour que tu me lises les lignes de la main ou pour une quelconque magie que l'on sert aux ignares, ronronna Mara, mauvaise. Je sais que tu viens du nord. Je sais que tu viens des tribus. Tu es une hérétique. Et c'est un miracle que tu sois encore en vie après que mon époux ait ordonné d'anéantir ton peuple.

— Et je suppose que vous ne direz rien me concernant à condition que je vous fournisse une aide ?

— Il serait regrettable que tu finisses par périr dans les flammes des enfers.

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant