Chapitre 2.

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Le soir, le manoir du bois de la reine – bois qui bordait Losthange, la capitale du royaume, mais qui n'appartenait en aucun cas à la souveraine – prenait des allures de palais de conte de fées. Contrairement au château de Beatrice de Navarie qui grouillait en permanence de vie, de jour comme de nuit, se dressant majestueusement sur la colline de la citadelle, lorsque le soleil se couchait, la demeure des Meravigliosa sombrait dans un calme presque enchanté. Les serviteurs se retiraient et seuls certains corridors étaient illuminés par des flambeaux, plongeant l'immense bâtisse toute entière dans des ténèbres parfois perturbées d'un halo doré et rouge, lui conférant un aspect presque irréel.

Aleksi connaissait chaque recoin du manoir par cœur. Même dans l'obscurité la plus complète, il pouvait s'y faufiler, discret comme une ombre. Après tout, c'était ce qu'il était. Un homme de l'ombre. Sa livrée noire de mercenaire lui permettait de se faufiler partout où bon lui semblait.

En cette douce nuit de fin d'hiver, ses pas le menèrent jusqu'à la tourelle principale du manoir. L'escalier en colimaçon était éclairé par des bougies et montait jusqu'à l'étage supérieur. Il ne croisa nul garde, nulle servante, nul domestique ou demoiselle de compagnie. Elle préférait très souvent demeurer seule, sans qu'on vienne la déranger et troubler sa paix.

Alors qu'il gravissait les marches, il s'arrêta quelques instants, ses doigts effleurant la dague qui pendait à sa ceinture. Ce geste habituel lui conférait toujours un peu de courage. Non pas qu'il s'apprêtait à affronter qui ou quoi que ce fût. Mais c'était l'assurance d'être toujours armé, essentielle à un être tel que lui.

Au bout de l'escalier, la porte était entre-ouverte. Doucement, il la poussa un peu plus, dévoilant la chambre somptueuse qui se trouvait derrière. Au centre de la pièce, un immense lit à baldaquin était tendu, recouvert de coussins brodés soigneusement. Sur le velours, les armoiries de la Meravigliosa étaient cousues. Un cœur humain dans lequel venait s'enfoncer une dague en argent. Une armoirie qui lui rappela brusquement d'où elle provenait. Il secoua la tête, balayant la pièce meublée richement du regard avant de s'arrêter sur l'objet de son attention.

À la lueur des chandeliers, Mara Meravigliosa ôtait ses bijoux devant un immense miroir, fredonnant un chant si ancien qu'Aleksi avait cru ne jamais entendre à nouveau. Un instant, il demeura dissimulé, sans se signaler, observant la femme et écoutant cette berceuse venue d'un autre temps qui éveillait en lui des souvenirs enfouis. Presque inconsciemment, ses doigts s'étaient refermés sur le manche de son arme.

Mais soudain, une des lattes du parquet craqua sous son poids.

Dans un tournoiement de velours noirs, la duchesse fit volte-face. Ses sourcils froncés marquaient sa surprise. Cependant, lorsqu'elle l'aperçu, le reconnaissant aisément, un léger rictus, presque un sourire, étira ses lèvres incarnates.

« Aleksi, tu sais que tu n'as pas à te tapir dans les ombres lorsqu'il n'y a que nous deux, n'est-ce pas ?

À l'entente de ces mots, l'homme s'avança dans la lumière. Le contraste entre lui et la duchesse était saisissant : là où elle était svelte, polaire et splendide, il était grand, massif et semblait entièrement embrassé par les ténèbres. Ses cheveux de jais encadraient un visage aux traits sévères et peu avenants. Son teint était hâlé et une cicatrice barrait sa pommette gauche.

Il dégageait une véritable aura de danger.

Malgré son faciès déroutant, il était en réalité très jeune. Vingt-trois ans à peine. Mais il se sentait déjà bien plus âgé que cela. Son cœur avait vieilli avant son corps.

— Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous faire peur, murmura-t-il en s'inclinant légèrement.

— Comme si je pouvais avoir peur de toi.

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant