Chapitre 29.

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La nuit avait retrouvé son hégémonie sur la forteresse de Montefortino et le règne de la pénombre s'étendait de nouveau. Chacun était retourné à ses couchettes pour quelques heures de sommeil avant le grand départ. Le brasier avait été éteint, soufflé par la fin de ces nocturnes festivités. Mais pas celui qui brûlait encore ardemment dans le cœur d'Aleksi.

Tandis qu'il grimpait les marches de la tourelle, guidé par ce feu intense qui grondait au bas de son ventre, son esprit s'envolait. Ces dernières semaines avaient sonné comme un temps de paix, de sérénité et même de bonheur. Chaque instant qu'il avait pu voler en la compagnie de Mara, ceux passés avec les autres mercenaires dans une atmosphères de camaraderie, cette sensation de n'être plus seul... Et voilà que tout allait être balayé d'un geste de la main par leur retour à la cour. Certes, ils rentraient avec les autres, qu'il dirigeait désormais en tant que lieutenant. Tous obéissaient à ses ordres. C'était après tout, son armée autant que celle de la Meravilgiosa. Mais rien ne serait plus pareil. Il en était certain.

Au creux de son cœur naissait cette envie de finir ce séjour de la meilleure des façons qui était. Pour ne rien regretter au retour. C'était ce soir ou jamais. Ce soir pour goûter au bonheur... Avant d'embrasser à nouveau les ténèbres.

Lorsqu'il pénétra dans la chambre de la duchesse, à pas de loup, alors qu'il s'attendait à la trouver déjà couchée, Mara, occupée à ranger ses bijoux, se tourna vers lui. Derrière elle, sur la chaise, reposait sa flamboyante robe pourpre tandis qu'elle ne demeurait qu'en corset et en jupe blanche. Elle le toisa un instant, haussant un sourcil, tandis qu'il refermait la porte derrière lui avec soin.

« Pourquoi entres-tu de la sorte, tel un voleur ?

— Je pensais vous trouver endormie.

Elle hocha de la tête, avant d'ôter une boucle d'oreille en rubis qui pendait à son oreille. Dans la pièce éclairée seulement par quelques bougies, le joyau resplendissait de mille feux entre ses doigts. Mais ce n'était pas lui qui attirait l'attention du jeune homme. Son regard sombre restait posé sur la Meravigliosa qui lança soudain, rompant le silence :

— Tu n'es pas venu danser tout à l'heure.

Il peina à discerner s'il s'agissait d'un reproche ou d'une moquerie. Elle le toisait comme toujours, de son air angélique et il éprouva une pointe de frustration en se remémorant la façon dont elle dansait avec les autres, se mêlant à eux sans hésitations, au sein de leur concon de Montefortino, tandis que lui avait dû souffrir pendant des années la distance imposée par les convenances de la cour de Losthange. Il avait dû se contenter de la voir de loin, de la rêver dans les ténèbres, de seulement imaginer... Toujours en éprouvant cette haine envers lui-même pour ses désirs qu'il réprouvait, pour ce baiser qu'il esperait. Et lorsqu'elle lui accordait une proximité, lorsqu'il pénétrait dans sa chambre ou lorsqu'ils se croisaient dans la roseraie des jardins, qu'il l'aidait à délaisser son corset ou à se déshabiller, qu'il échangeait entre eux, et rien qu'entre eux, sur un tapis de fleurs, il sentait la distance plus grande encore. Car alors il pouvait la frôler, la toucher... Mais jamais comme il le voulait.

Et voilà qu'elle dansait avec les autres mercenaires, sans barrière aucune ! Pourquoi eux ? Pourquoi pas lui ?

« Pourquoi pas nous... » feulait le démon qui se nourrissait de cette jalousie mal contenue.

— Je n'allais pas vous déranger, répondit-il, d'un ton plus cassant qu'il ne l'avait voulu.

Elle s'appuya sur un meuble, légèrement inclinée en avant, un sourire malicieux aux lèvres. La soudaine condescendance du jeune homme paraissait grandement l'amuser, à son plus grand dam. Elle lisait si aisément en lui qu'il en devenait fou.

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant