Chapitre 21.

112 24 0
                                    

Il l'avait tout de suite senti.

Quelque chose n'allait pas.

Il y avait dans l'air un étrange relent de souffre qui lui faisait froncer du nez. Une odeur nauséabonde qui s'élevait par-dessus les parfums des fleurs et les fumets des mets qui ornaient le banquet. Elle s'infiltrait jusqu'à lui, dans l'air qu'il respirait et venait empoisonner ses poumons d'une crainte grandissante. Car ce qui l'inquiétait, c'était ce qui expliquait la présence de cette senteur putride dans un endroit aussi inhabituel qu'un jardin.

C'était à cette odeur imperceptible pour les êtres humains qu'un démon en reconnaissait un autre : l'odeur du souffre infernal qui imprégnait chaque être qui franchissait le voile entre les mondes.

Aleksi se raidit.

Il y avait un autre démon ici...

Son sang ne fit qu'un tour dans ses veines alors que tous ses sens s'éveillèrent brutalement, le tirant de son illusoire sérénité. Une seule pensée s'imposait désormais à lui, accompagnée d'un élan de panique.

Mara !

Repoussant soudainement Sigrid, sans aucune considération pour celle qu'il embrassait la seconde d'avant et qui l'appelait désormais, plongée dans l'incompréhension, il se précipita vers les bosquets, guidé par son instinct et par les imprécations d'Iskela qui vociférait dans son crâne.

Il devait se dépêcher. Il devait faire au plus vite. Avant qu'il ne soit trop tard...

L'impression que son cœur allait exploser dans sa poitrine se mêlait à la brume d'angoisse qui alourdissait son esprit. Tout son être était tourné vers cette unique pensée qui le tourmentait, le guidait aveuglément dans les jardins. Il bouscula un autre invité sans s'en soucier. Mais Mara n'était plus parmi ses convives. Elle avait disparu...

Une autre senteur s'éleva soudain, par-dessus celle du soufre. Une odeur métallique à laquelle il était encore plus familier... Celle du sang.

Cette fois-ci, il faillit perdre tout contrôle. Se précipitant vers l'origine de cette senteur diabolique, il contourna un bosquet, puis un deuxième, s'enfonçant toujours plus entre les buissons.

Il tourna derrière un nouvel amas de branche, déboulant dans une nouvelle petite allée.

Et ce fut là qu'il la vit.

La Meravigliosa était étendue au sol, les yeux clos. Sa poitrine se soulevait lentement, faiblement, trop faiblement... Sa robe était froissée, déchirée, comme si elle s'était battue. Sa peau pâle jurait avec le brun des graviers et ses cheveux d'or baignaient dans une auréole pourpre telle celle d'un ange. Un ange perdu. Damné. Déchu.

Son sang...

Le démon grogna, rua, lutta et batailla pour sortir dès lors qu'il flaira le parfum métallique et âcre du liquide écarlate. Ses flots magmatiques se précipitèrent dans les veines de son hôte tandis qu'il lui communiquait l'angoisse profonde qui le ravageait. Mais le mercenaire refoula les craintes déraisonnées de son double, laissant la sienne au fond de la conscience.

Il n'avait pas le temps d'avoir peur. Il n'avait pas le temps de craindre.

Se laissant tomber à genoux au côté du corps inconscient de la duchesse, il inspecta la plaie béante. Cependant, dès lors qu'il l'effleura il sentit un frisson écœurant remonter le long de sa paume puis de son bras pour dévaler son échine.

De la magie...

Des éclats de voix au loin le tirèrent de son constat effroyable. S'arrachant comme il le put à l'incompréhension et la tension terrible qui le gagnaient, il se redressa. Aleksi souleva la femme dans ses bras avec précaution, craignant d'aggraver sa blessure ou de lui causer le moindre tort supplémentaire.

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant