Chapitre 22.

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Pour retrouver un assassin, il fallait être en possession de l'arme du crime.

En parfait mercenaire, Aleksi prenait toujours garde à ne jamais laisser le moindre indice qui pourrait faire remonter la piste jusqu'à lui. Il avait même joué de cette règle capitale lors de l'assassinat de Béatrice de Navarie en laissant le scramasaxe sur les lieux du meurtre. L'arme skÿull avait détourné tout soupçon. Exactement comme il l'avait souhaité. Un meurtre était avant tout un jeu habile, entre l'assassin et l'assassiné, entre le meurtrier et ceux qui le poursuivraient.

Mais désormais, le jeune homme espérait que celui qu'il traquait ne s'était pas montré aussi précautionneux. Il avait vaguement souvenir d'un reflet métallique baignant dans le sang de la Meravigliosa. Peut-être bien le reflet de l'objet qu'il cherchait. D'une arme. D'un indice...

Il n'avait pas pensé à s'en emparer plus tôt, trop occupé à ramener la duchesse dans sa demeure et à tenter de faire cesser le saignement. La peur qu'il avait ressenti à l'idée de la perdre avait été si vive qu'elle avait annihilé tout bon jugement. Elle s'était infiltrée en lui, tel un serpent venimeux, s'enroulant autour de ses boyaux et de sa poitrine pour les comprimer sans la moindre pitié. Il l'avait senti empoisonner son esprit, rendant chaque inspiration plus déchirante que la précédente. Durant un temps qui lui avait paru être une éternité, toutes ses pensées avaient été tournée vers Mara et son sort incertain. Jamais au cours de sa vie mouvementée, chargée en drames et en évènements funestes, il n'avait été aussi terrifié.

Si Mara mourait, ce serait la fin.

Toute son existence entière tournait autour de la sublime duchesse. Chacune de ses pensées, chacun de ses actes étaient pour elle. Elle avait laissé une marque indélébile sur son esprit, son âme, son cœur... Le démon, l'homme... Tous deux ne vivaient que pour la servir.

Si Mara mourait, il n'était plus rien.

Mais elle ne mourrait pas. Pas ce soir. L'attaque n'avait pas été mortelle.

Et il s'était sentit revivre, avec plus d'intensité que jamais, la haine remplaçant petit à petit la terreur profonde qu'il avait éprouvée. Il ne rêvait plus que d'une chose, retrouver le coupable. Et le faire payer.

Désormais qu'il n'était plus obnubilé par son inquiétude croissante, il espérait retrouver l'arme là où il l'avait vu pour la dernière fois. C'était pour le moment sa seule piste. Et s'il voulait accompagner la Meravigliosa à Montefortino, il n'avait pas le choix : il devait faire aussi vite que possible et prier pour que celui qu'il recherchait ne se soit pas enfui à l'autre bout du continent. Les démons possédaient tant de pouvoirs différents... Et il ne savait à quoi s'attendre de la part de celui-ci. Maîtrisait-il le feu ? Était-il capable de broyer une roche à mains nues ? Pouvait-il tuer d'un seul contact ?

Aleksi espérait que ses ténèbres seraient suffisantes pour le combattre.

Elles le seraient. Il n'avait pas le choix.

S'enfonçant dans les jardins, il se faufilait à travers les bosquets, retournant sur les lieux du crime. Ses pas le menèrent dans cette allée, entre deux buissons taillés avec précision. Les graviers, pâles dans l'aube grise qui pointait à l'horizon, étaient, par endroit, bien plus sombre qu'à l'accoutumée, formant une tâche obscure à laquelle le premier rayon de lumière conféra un éclat pourpre.

À la vue de cette marre rouge, il sentit une violente bouffée de chaleur monter en lui tandis que son sang affluait sous son épiderme, brûlant. Il se souvenait que son démon avait plusieurs fois souhaiter imposer la marque sanglante de sa violence sur celle qu'il adulait pour partager le fruit de ses macabres œuvres avec elle. Mais jamais il n'avait désiré voir son sang si précieux couler. On avait blessé la duchesse, on avait fait couler ce liquide carmin merveilleux. Et ça, Iskela ne pouvait le supporter. De son éternelle contradiction, il haït soudain cette sève vermeille qu'il aimait tant répandre d'ordinaire. Il revoyait la silhouette divine de Mara étendue, inconsciente, à cet endroit précis. Et il ressentait poindre en lui ce souffle haineux, colérique, destructeur, cette soif de vengeance, ce besoin étouffant de faire payer.

Le Cercle Des Merveilles - I - À cœur et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant