Les étoiles de Persée 1

Chapitre 34

Je m'écroule sur le lit à peine arrivé dans ma chambre. J'allume la lampe et règle la luminosité au minimum : une faible lueur orangée baigne désormais la pièce. Je jette un œil à mon téléphone que je retrouve entre les draps – il est 4h57 – et le pose sur la table de chevet. Puis, allongé sur le dos, la tête posée sur mes bras croisés et le regard vers le plafond, je réalise ce qui est en train d'arriver : Connor va me rejoindre. A cette pensée, j'ai le cœur qui explose de bonheur et d'angoisse mêlés. J'ai envie de partager la nuit – ou ce qu'il en reste – avec lui. J'ai envie de l'embrasser, de le serrer dans mes bras, de dormir contre lui, de sentir l'odeur de sa peau à mon réveil... mais le reste ? La vraie question qui se pose est celle-ci : est-ce que je suis prêt à faire l'amour avec Connor ? Et qu'est-ce que ça signifie en fait ? A quoi est-ce censé ressembler ? Tout ça est tellement nouveau pour moi. Je veux dire, je ne sais même pas ce qu'il faut faire, ni comment le faire. Ce ne sont pas les quelques extraits de films pornographiques visionnés dans les vestiaires avant les entraînements de boxe qui m'ont donné un quelconque mode d'emploi. Je ne parle pas de technique, hein... là n'est pas le problème. C'est bien au-delà de ça... en tout cas en ce qui me concerne. Et lui ? Je sens mon pouls s'accélérer tandis que les questions sans réponse s'accumulent... et puis... il entre et referme doucement derrière lui. En le voyant, je réalise que l'essentiel est juste qu'il soit là, que nous soyons ensemble : la pression retombe d'un coup. Rien d'autre n'a d'importance en réalité. Je le regarde s'approcher, poser son téléphone et s'allonger près de moi. Je me tourne sur le côté pour lui faire face. Il me sourit en caressant du bout des doigts les courbes de mon épaule et de mon bras.

- Si tu avais vécu pendant l'Antiquité, tu aurais fait un carnage ; j'ai l'impression de caresser la statue d'Apollon au musée du Louvre. Tu sais qui c'est n'est-ce pas ? Le dieu du Soleil, du chant et de la poésie, de la beauté masculine. La beauté masculine, rien que ça. Voilà. Tu es gaulé comme un dieu grec et ça me rend dingue. Et puis, on n'a pas le droit de toucher les statues au musée : je suis juste en train d'enfreindre la loi.

Je laisse échapper un bref éclat de rire ; il a l'air content de sa blague. Je pose ma main sur sa taille et passe une jambe par-dessus la sienne – j'aime l'idée que nous soyons emmêlés ensemble - puis j'approche mon visage, les yeux plongés dans les siens. Son souffle chaud glisse sur mes lèvres.

- Tu veux bien dire mon prénom ?

Il marque un temps de surprise, avant d'estimer – à juste titre - qu'il s'agit d'une requête tout à fait sérieuse, et se décide finalement à murmurer d'une voix feutrée et exagérément sensuelle :

- Samuel.

Je ne sais pas comment c'est possible, mais des centaines de picotements descendent le long de ma colonne vertébrale lorsqu'il prononce mon nom, ça résonne dans mes entrailles, je ne parviens pas à retenir un frisson de plaisir. J'adore cette sensation – c'est comme si mon corps réagissait à la seule intonation, aux seules vibrations de sa voix. Il hausse les sourcils, amusé :

- Je ne savais pas que je pouvais faire ça... c'est cool !

- Tu connais ton arme secrète de destruction massive – ou plutôt de sensations massives, maintenant...

Il affiche un large sourire et me demande à brûle-pourpoint :

- Est-ce que tu connais la tienne ?

Je hausse les épaules avec un regard interrogateur.

- Attends.

Il roule sur le dos pour saisir son téléphone posé sur la table de chevet, l'allume et agite ses doigts un court instant, avant de se tourner de nouveau face à moi et de le placer entre nous, sur le lit. Il pose sa main sur ma jambe et chuchote, les yeux brillants :

- Écoute.

Dès les premiers accords, je reconnais l'enregistrement que je lui ai envoyé. Ma voix en français est plus grave que d'ordinaire, c'est à la fois étrange et très sexy. Il parait très concentré durant la chanson – je suppose qu'il tisse des liens entre les paroles et ce que nous sommes, nous. Il faudra que je lui demande de me la traduire vraiment.

- Est-ce que tu l'as chantée pour moi ? me demande-t-il soudain. Je perçois une réelle inquiétude dans sa voix. Je voudrais qu'il n'éprouve aucun doute nous concernant :

- Oui, évidemment. Je ne l'ai jamais chantée pour personne d'autre.

Il sourit, manifestement rassuré. Lorsque ma voix entame le refrain, son regard se teinte d'une intensité que je ne lui ai jamais vue. Il y a tant de désir dans la façon dont il me dévisage qu'une vague de chaleur se répand dans ma poitrine, et me presse de l'embrasser, tout de suite. Je suppose qu'il éprouve la même sensation, car nos lèvres se rejoignent spontanément dans un baiser tendre et profondément langoureux. Mes doigts trouvent le chemin de sa peau et s'aventurent sur son ventre, qui se contracte à leur passage. La douceur de son corps est d'une sensualité qui me rend dingue. Mes caresses remontent peu à peu jusqu'aux courbes de son torse, sur lequel je dessine des arabesques légères. Mon pouce effleure soudain l'un de ses tétons et c'est son corps tout entier qui frissonne, déversant en moi par la même occasion un flot de bonheur pur. Il quitte mes lèvres et resserre son étreinte sur ma cuisse en souriant :

- Tu as vu ce que tu me fais ?

- Mmmmh... j'aime assez ça.

- Mais tu n'as droit qu'à une seule arme secrète, pas deux !

Je laisse ma main redescendre doucement et s'égarer juste au-dessus de la ceinture de son pantalon, alors que les dernières notes de guitare s'éteignent lentement. Nous restons silencieux un moment, les yeux dans les yeux. Je sens une douce torpeur m'envahir peu à peu alors que mon esprit ne cesse de répéter : Il est là. Il est là. Il est là.

- C'est l'heure, non ? souffle-t-il. Je hoche simplement la tête, incapable d'autre chose.

Sans un mot, Connor étire son bras au-dessus de moi pour éteindre la lampe, attrape la couette et la rabat sur nous. J'effleure ses lèvres une dernière fois et je ferme les yeux, ma main posée sur sa taille, la sienne posée sur ma cuisse : je l'ai, je le garde.