Chapitre 28

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Le repas est une fête, comme il se doit. Nous avons chacun droit à une coupe de champagne et un verre de vin chilien apporté par mon oncle – malgré notre âge. C'est vrai qu'il accompagne merveilleusement le chili que ma tante Carmen a préparé. Pour Talia, qui a 16 ans, c'est une première : Rick la surveille comme du lait sur le feu. Nous discutons de tout, de rien. Lya et Jonas s'entendent tout de suite très bien avec mes cousins – ce qui ne m'étonne pas. Ils parlent de leurs études au lycée ou à l'université, de leurs goûts musicaux, de sport. James est membre de l'équipe de water-polo à UCLA, où Lya rêve de poursuivre son cursus en intégrant l'équipe de GRS. Il la conseille pour les entretiens à venir. D'une manière générale, l'atmosphère est chaleureuse et décontractée - c'est vraiment ce dont j'avais besoin précisément maintenant.

Vers 15h, mon oncle repart à Monte Vista.

- Je viens vous chercher demain en début d'après-midi avant 14 heures, ça ira ?

- Ok ! Parfait ! Ça me laisse le temps de laminer Sam à Mario Kart une centaine de fois... c'est impeccable !

Je donne un coup de coude à Dylan en secouant la tête d'un air dépité. J'espère lui donner tort au cours de la journée.

Une fois que nous avons débarrassé la table et rangé la cuisine, Jonas annonce sur un ton magistral :

- Il me reste un peu plus de 3 heures pour tout préparer : il faut que je m'y mette. Prière de ne pas déranger le maestro, ok ?

- Je peux t'aider, si tu veux ?

Il se tourne vers Talia, la plus jeune d'entre nous et semble la jauger quelques instants. Elle s'approche de lui et explique sur un ton de confidence :

- J'aime pas ranger, en fait.

Cela nous fait rire, évidemment. Jonas hoche la tête et déclare à la ronde en passant le bras autour de son épaule :

- Je prends cette petite – enfin, cette jeune fille, corrige-t-il en constatant qu'elle est presque aussi grande que lui - avec moi, elle est désormais sous ma protection. Allez, vous autres, au boulot !

Ranger et nettoyer le salon nous occupe durant environ 1 heure ; James a apporté des spots colorés et des enceintes, qu'il dispose aux quatre coins afin de parfaire la touche « disco ».

Pour terminer, nous nous occupons de ranger et d'attribuer les chambres. Les cousins s'accaparent le dortoir évidemment ; ils y déposent leurs affaires – Jonas et Lya ont choisi d'occuper une chambre ensemble, cela ne leur pose aucun problème. Les trois autres seront pour les invités : ils se débrouilleront entre eux. Après tout, nous ne sommes pas vraiment censés dormir cette nuit.

Comme il nous reste un peu de temps avant d'aller nous préparer pour la fête, nous entamons un tournoi de courses sur la Wii. C'est aussi endiablé que lorsque nous avions 10 ans ! Des cris désespérés lorsque nous tombons dans les cascades, des hurlements de joie lorsque nos adversaires dérapent sur des bananes ou des acclamations à l'arrivée de nos coéquipiers ponctuent ce moment absolument hors du temps. J'ai l'impression d'être revenu 8 ans en arrière : ma grand-mère va surgir dans le salon en demandant « Qui veut un cookie ? ». J'ai réussi à vaincre Dylan plusieurs fois : manifestement, il a perdu de sa superbe. Je fanfaronne sans pudeur, pour le narguer.

Lorsque le jour commence à décliner, après 17 heures, il est temps d'éteindre la Wii pour nous préparer. Dylan bougonne en reposant sa manette :

- Tu ne perds rien pour attendre : rendez-vous ce soir !

Je retourne dans ma chambre, un sourire encore accroché aux lèvres. Je me sens bien – loin du monde qui me relie à Connor. Parmi les miens, personne ne le connaît, personne ne m'en parlera. C'est comme s'il n'existait pas. Comme s'il n'avait jamais existé. C'est apaisant... Mais à cette pensée, je sens malgré tout mon cœur se serrer. Mon regard tombe sur ma guitare posée dans un coin. Je la saisis et m'assois au bord du lit pour en faire un diagnostic : le manche est brisé et la table d'harmonie enfoncée. Deux cordes sont également cassées. J'espère pouvoir cacher à ma mère ce désastre jusqu'à ce que je l'aie faite réparer... si elle est réparable ! Il se peut qu'elle disparaisse avec tout ce qui concerne Connor : les baisers, les caresses, les regards... et Petite Marie aussi. Je me suis interdit d'écouter cette chanson depuis leur départ : elle charrie trop de souvenirs doux à ma mémoire pour que je l'assume, actuellement. J'ai même effacé l'enregistrement que j'ai envoyé à Connor. Je m'emploie à traquer toutes les traces de ces quelques jours : quand il n'y en aura plus, alors peut-être pourrai-je vraiment oublier.

Avant d'aller à la salle de bains, je consulte mon téléphone rapidement : un appel en absence est notifié à 17h01. J'hésite un instant avant de vérifier le journal des appels – je n'ai quasiment aucun doute sur l'identité de l'appelant. La colère me gagne tandis que j'efface sans l'écouter le message vocal : qu'est-ce qu'il veut, en fait ? Quel est son problème ? Est-ce que ça l'amuse, ce bâtard ? Au prochain appel, je préviens Mel. On verra qui s'amusera, au bout du compte. Rageusement, je balance mon téléphone sur le lit ; il s'enfonce dans les couvertures et disparait.

Je prends mon temps pour me doucher, histoire de laisser la pression retomber. Puis j'enfile une chemise assez ajustée et un jean, tous deux de couleur noire : j'aime la façon dont les teintes sombres font ressortir le gris de mes yeux. Et puis, ça correspond bien à mon humeur du moment, alors...

J'aide Jonas à terminer de disposer les plats : les nachos dorés et croustillants, les petits pains au maïs, les butte pasty – sorte de chaussons fourrés, les corn dog – petites saucisses panées sur un bâton, les chicken wings et les onions rings ont l'air succulents ; nous apportons le punch (sans alcool), quelques bouteilles de sodas et les verres sur la table du buffet lorsque les premiers invités sonnent à la porte.

Je vais ouvrir à Josh, Henry, Zoe et George – que je ne connaissais pas : c'est étrange de voir le lycée de Santa Fe débarquer dans le chalet, mais c'est un excellent moyen en ce qui me concerne pour reprendre pied dans la réalité.

Quelques minutes plus tard, c'est au tour de Michaël et Emily McConnaghan, Sarah et Carolyn de se présenter. Comme par magie, Lya apparaît instantanément à mes côtés lorsque je les fais entrer. Elle s'improvise maîtresse de maison en invitant tout le monde à déposer son manteau dans le vestibule près de l'entrée – qui sert habituellement de débarras, puis les conduit vers le salon. Sarah s'arrête une minute près de moi. Elle est vraiment super belle : je n'ai pas coutume de la voir vêtue d'une robe pailletée qui met ses courbes plantureuses en valeur, avec des talons qui allongent encore ses jambes et la rendent presque aussi grande que moi. Ses cheveux tombent comme un voile soyeux sur ses épaules et elle a rehaussé ses yeux noirs d'un trait d'eye-liner. Elle m'adresse un sourire un peu timide :

- Hello, Sam.

- Salut. Alors, la route n'a pas été trop longue ?

- Non, ça a été ; Emily et Michaël se sont relayés au volant. Et puis, c'est chouette d'être ici : merci pour l'invitation !

- Avec plaisir ! J'espère que vous vous amuserez !

- Il n'y a pas de raison ! A tout à l'heure !

Elle fait un mouvement pour s'éloigner, puis se ravise : « Au fait, Melissa m'a dit que tu avais envoyé ta candidature à l'Université de l'Arizona ? »

- Oui. Toi aussi ?

- Mmmh... on pourra en parler, si tu veux !

- Ouais, super !

Très vite, l'ambiance est à la fête : je peux faire confiance à mes cousins pour animer la soirée, que ce soit pour lancer un tournoi sur Mario Kart ou enflammer la piste de danse sur les chansons les plus populaires du moment : c'est Talia, DJ à ses heures perdues, qui est aux manettes de la sono ce soir. Je me sers un verre et passe d'un groupe à l'autre, grignotant quelques chips au passage. Un tournoi qui voit s'affronter Lya et Michaël d'un côté et Dylan et Emily de l'autre, est en cours sur la Wii. Les deux équipes sont à fond dans le jeu. Lya et Michaël s'encouragent mutuellement au départ de chaque course, tandis que Dylan et Emily – qui ne se connaissaient pas il y a une heure, échangent des mantras censés leur porter chance. Je félicite intérieurement ma Lya de compétition, qui n'a pas perdu de temps pour avancer son pion concernant Michaël...

Carla est la dernière à arriver vers 20h30 : elle a assuré la fermeture de la boutique avant de pouvoir nous rejoindre.

Ça y est, nous sommes au complet et tout va bien. Je m'assois sur un tabouret près du comptoir et embrasse la salle du regard. Dans un peu plus de 3 heures, nous entamerons une nouvelle année. Je tiens absolument à ce qu'elle soit belle. Pas comme celle qui se termine. Quelques idées surgissent en vrac pour réussir les 12 mois à venir : être accepté à Tucson, reprendre les entrainements de boxe – j'ai pris cette décision hier soir, parce que j'en ai ras-le-bol de cogner contre des murs, réussir mon discours à la cérémonie de remise des diplômes, rendre visite à Jonas à la Nouvelle Orleans, apprendre à ma sœur à skier au mois de février prochain, devenir moins con – c'est ce qui va être le plus difficile, à mon avis...

Les étoiles de Persée 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant