Chapitre 10

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*28 décembre*

J'ai embrassé Connor. Il m'a embrassé. C'était tellement, tellement juste et beau. Je ferme les yeux et je sens ses lèvres sur les miennes. Mon cœur explose ; je souris comme un gamin.

Connor est le copain de Mel. Elle est amoureuse, je le sais. Quelque chose se tord dans mes entrailles : je n'ai pas le droit d'ignorer ce sentiment de culpabilité, tout comme je dois affronter l'idée de l'avoir trahie. Ma meilleure amie.

Je l'impressionne et je lui plais. Il a caressé ma joue avec une douceur si incroyable. Il est super beau, il dessine comme un dieu, et mes doigts sont encore tout émus de s'être posés sur lui.

Il est impératif qu'elle ne sache jamais ce qui s'est passé. Je dois la préserver avant tout, quel qu'en soit le prix. Même si le sacrifice me paraît absolument excessif. Pas excessif : tout bonnement impossible.

Il aime m'écouter jouer de la guitare. J'aime qu'il se penche contre moi pour me montrer les secrets qu'il a cachés dans ses dessins, et sentir son bras contre le mien, sa hanche contre la mienne.

Tout est encore réparable. Il n'y a rien de cassé, rien d'abîmé. Sans Melissa Cornell, je n'en serai pas là, je ne serai pas moi. Je lui dois tellement. Je n'ai pas le droit de lui faire du mal. Il n'y a pas d'autre solution.

J'aimerais tellement l'embrasser de nouveau.

Il n'y a pas d'autre solution.

Je voudrais tellement qu'il caresse ma peau, encore une fois.

Il n'y a pas d'autre solution.

Je...

Il n'y a pas d'autre solution.

Je me lève d'un bond complètement hors de moi, et je me mets à frapper dans le mur près de la porte en retenant des hurlements de colère et de rage. Mes poings et mes bras savent exactement comment taper pour faire le plus mal possible – j'ai fait de la boxe thaï pendant 7 ans. J'ai arrêté au début de l'été dernier, parce que mes démons avaient cessé de me poursuivre. Peut-être que j'aurais dû continuer, finalement.

Une lueur blafarde baigne la pièce quand j'ouvre les yeux. J'aperçois par la fenêtre d'énormes flocons tomber mollement. Mon téléphone indique 8h22.

J'ai fini par m'endormir apparemment. Je passe ma main dans mes cheveux et retiens une grimace de douleur. J'ai dû frapper un peu trop fort sur le mur. Lui n'a rien, mais les jointures de mes phalanges sont couvertes d'écorchures. Mur : 1 – Samuel : 0. Mais je m'en fous : ce n'est pas la première fois, ce ne sera pas la dernière. Même si aucun des combats que j'ai perdu par le passé ne faisait aussi mal que celui-là.

Je me redresse et m'étire : il me faut une douche, tout de suite. Je fonctionne en mode automatique et repousse violemment toutes les tentatives de mon cerveau pour me rappeler la situation catastrophique dans laquelle je me trouve. La morsure lancinante que je ressens dans la poitrine me suffit – pas besoin d'en rajouter.

Dans la cuisine, Lya et Jonas sont déjà en train d'attaquer leurs céréales. Je lève un bras machinalement en les rejoignant, sans même leur adresser un regard. S'il y a des personnes sur cette terre avec lesquelles je ne me sens pas obligé de faire des efforts, c'est bien eux.

- Salut !

Je me sers un café dans le plus grand mug que je trouve et m'assois à côté d'eux. Ils échangent des regards silencieux, sourcils froncés et bouche pincée, je le vois. Lequel va se lancer ?

Jonas.

- Bon, c'est quoi le problème ?

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la question est directe. Je sais qu'ils ont leurs yeux rivés sur moi, curieux de savoir ce qui m'arrive.

Je pousse un long soupir puis tout en portant ma tasse à mes lèvres, je réponds enfin :

- On a traîné au coin du feu. On s'est couché tard, je suis claqué.

Cette partie n'est que pure vérité – techniquement, je ne leur mens pas. Simplement, je ne leur dis pas tout. Peut-être plus tard. Je ne sais pas.

Ils se contentent de ce que je leur raconte, même si je vois bien, à leur manière de hausser les sourcils d'un air condescendant, qu'ils ne sont pas dupes. En même temps, vu l'état de mes phalanges... ils ont déjà été témoins de ça : ils savent exactement à quoi s'en tenir... Mais le sujet est clos, ils l'ont bien compris.

Néanmoins, à mesure que nous parlons de tout et de rien, mon esprit retrouve peu à peu de la sérénité et le poids qui pesait sur ma poitrine s'allège. Je suis même capable d'enchaîner deux pensées positives de suite ! Je réalise que je veux absolument profiter de ces vacances avec les gens que j'aime – bientôt chacun d'entre nous suivra son chemin de son côté et l'occasion ne se représentera pas de sitôt.

Mel et Connor ne sont pas encore descendus, mais au vu de la météo annoncée sur le site web de Wolf Creek - rafales de vent et chutes de neige au programme - nous prenons la décision de ne pas aller skier aujourd'hui. Ici à Pagosa Springs, le temps est plutôt calme, et le ciel semble même s'éclaircir.

- On pourrait aller faire une balade en motoneige et terminer par les sources chaudes ? propose Lya en surfant sur le site de la ville. Est-ce que vous avez vos maillots ?

C'est une super idée ; les sources chaudes sont une attraction réputée de Pagosa, à laquelle elles ont donné son nom. Ma grand-mère nous y emmenait souvent, quelle que soit la saison et nous profitions du panorama grandiose tout en pataugeant comme des canards.

Jonas confirme qu'il a apporté un short de bain ; en ce qui me concerne, j'en glisse toujours un dans mon sac quand je viens ici, par habitude.

Il est 9 heures et demie passées lorsque Mel et Connor nous rejoignent. Je prends une longue inspiration en les entendant arriver et j'essaye de me rassurer : personne ne peut entendre à quel point ça tambourine dans ma poitrine.

Mel affiche un grand sourire : elle a le visage frais et reposé. Connor la suit, mais je l'aperçois seulement, détournant mon regard aussi vite que possible. Mel se dirige vers moi et me serre dans ses bras. Je l'enlace tendrement. J'aimerais que cette étreinte soit le signe de mon pardon, mais j'en doute : ça me parait un peu trop facile.

- Coucou toi ! Alors, tu as pu dormir un peu quand même ? Quelle idée de se coucher si tard !

- Oui, un peu. Et toi, tu n'as pas eu trop de mal à te rendormir ?

Elle prend place près de moi et saisit une tranche de brioche. Ses yeux pétillent de malice :

- J'avais des bras chauds et musclés pour me bercer, j'ai dormi comme un nounours ! Elle lance un regard amoureux vers Connor, visiblement très occupé à verser du lait dans son café.

Quant à moi, j'encaisse le coup sans broncher, mais je douille. Je mesure combien ça va être difficile ; à cet instant, j'ai hâte que la journée se termine pour me retrouver seul face à ce putain de mur.

Connor lève finalement les yeux, en évitant soigneusement de se tourner vers moi : je préfère encore ça, à l'indifférence que je pourrais déceler sur son visage. Au moins, tant qu'il ne me regarde pas, tout est envisageable.

- Alors, le programme d'aujourd'hui ? s'enquiert-il en enfouissant une cuillère de céréales dans sa bouche. Sa voix résonne d'enthousiasme, je ne dénote rien d'anormal.

Avec beaucoup d'efforts et une tonne de mauvaise foi, peut-être arriverons-nous à faire comme si de rien n'était, finalement ?

Les étoiles de Persée 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant