Chapitre 27

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*31 décembre*

J'ouvre les yeux. Je suis allongé dans le canapé, enroulé dans un plaid. Je souris un peu bêtement en réalisant que mon plan a fonctionné. Je me suis écroulé après la bataille au gouffre de Helm – ce sont les dernières images dont je me souvienne.

Une lumière blafarde traverse les fenêtres du salon – le jour commence à se lever. Je regarde l'heure sur mon téléphone : 7h54. Je sors des brumes du sommeil lentement, et réalise alors seulement que cela fait maintenant plus de 24 heures que je n'ai pas vu Connor, ni senti le goût de ses lèvres sur les miennes. A la morsure soudaine au fond de mon ventre s'ajoute une boule dans ma gorge, tandis que je le revois partir en voiture dans la nuit, avec Mel. Je pose un bras sur mes yeux en poussant un long soupir. Enterrer l'erreur d'itinéraire en même temps que cette année pourrie qui se termine : voilà l'objectif du jour. Ce soir, ce soir c'est la fête et après ça, Connor fera irrémédiablement partie du passé. Merde.

Je décide de passer par la salle de bains tout de suite : j'ai l'impression de sentir le fauve après avoir dormi tout habillé. Dix minutes plus tard, je suis de retour dans la cuisine. Le café est prêt quand Lya et Jonas me rejoignent. Nous réfléchissons à la meilleure façon d'aménager le salon pour ce soir. Dans le coin télé, je propose d'installer la Wii que ma grand-mère nous avait offert pour Noël, il y a un peu plus de 10 ans. Je suis sûr que certains de nos invités seront ravis de retomber en enfance. Nous avons joué des parties mémorables entre cousins, les jours de mauvais temps. Je me souviens que je n'étais pas si mauvais sur Mario Kart, mais Dylan gagnait le plus souvent. J'aimerais bien tenter de prendre ma revanche, pour voir...

- Ouais ! Bonne idée ! Cela fait au moins 5 ou 6 ans que je n'ai pas joué ! Mariah l'a emmenée quand elle a emménagé dans son appart.

- En plus, nous pouvons aussi l'utiliser pour passer de la musique, c'est nickel !

La Wii : c'est acté ! Nous allons aussi repousser le canapé qui est face à la cheminée contre la baie vitrée : nous placerons la table du buffet à côté et cela permettra d'avoir un espace pour danser.

Finalement, cela s'organise facilement. À 9h30, nous sommes prêts pour descendre à Pagosa Springs, direction le supermarché.

L'hyperactivité me réussit : je n'ai absolument pas le temps de penser à autre chose qu'aux saucisses, aux chips et aux sodas. Je sens bien, à l'intérieur de moi, que tout ceci n'est qu'une mascarade, pour dissimuler le vide abyssal dans mon ventre, mais au moins, le temps avance. Et chaque heure qui passe est une heure de gagnée. Gagnée contre quoi ? Je ne sais pas exactement, en réalité : contre moi, contre Connor, contre l'Univers ?

Quand nous reprenons le Chevrolet, je vérifie si Rick a téléphoné – ils doivent être en route pour Pagosa maintenant. Sur l'écran, il y a deux notifications : un sms et un appel en absence une demi-heure auparavant. C'est bien mon oncle qui m'a envoyé un message il y a 5 minutes pour me prévenir qu'ils partaient de Monte Vista. Arrivée prévue vers midi. Je consulte ensuite le journal des appels et je me fige : c'est Connor. Mon cœur se met à tambouriner comme un sourd dans ma poitrine et mon esprit s'emballe : je n'étais pas préparé à ce qu'il essaye encore une fois. Je renverse ma tête sur mon fauteuil et ferme les yeux. Dix milles pensées contradictoires s'entrechoquent dans mon cerveau, tandis que la foreuse recommence à ronger mes entrailles. J'ai mal. Et j'ai encore plus mal de ne pas savoir pourquoi exactement : est-ce parce que j'ai loupé son appel ou parce que je voudrais qu'il me laisse encaisser sa décision sans venir m'emmerder toutes les cinq minutes ?

- Sam ? Est-ce que tu vas bien ?

Je pose mes yeux sur Lya, assise côté passager. Jonas passe la tête entre nos deux sièges. Tous deux affichent une mine interrogative. Autant dire la vérité – je n'ai rien à leur cacher.

- Connor m'a appelé.

- Il a laissé un message ?

- Oui. Mais je ne l'écouterai pas de toutes façons.

Jonas pousse un soupir et pose sa main sur mon épaule dans une tape légère, en signe d'encouragement.

- Allez, Sam. Ça va finir par aller mieux.

Je hoche simplement la tête sans répondre que j'aimerais être aussi convaincu qu'il l'est, puis je démarre le Chevrolet.

Dès que nous arrivons au chalet, nous rangeons les courses. Jonas commence à préparer les desserts – cookies et tarte à la citrouille - qui sont les plus rapides et les plus simples à cuisiner. Lya et moi faisons un peu de rangement – il s'agit notamment d'enlever tous les objets fragiles ou de valeur du salon pour éviter les catastrophes. Nous les entassons dans la buanderie derrière la cuisine, sur les étagères les plus hautes.

Jonas vient d'enfourner les tartes lorsque la porte s'ouvre à la volée :

- Helloooooo muchachos ! tonne joyeusement mon oncle en brandissant une bouteille de champagne dans les airs. Il entre comme une tornade, suivi par mes 4 cousins et se dirige vers moi en m'ouvrant les bras :

- Sam ! Sam, mon grand ! Comme je suis heureux de te revoir ! Il me serre contre lui dans une accolade un peu bourrue mais tellement réconfortante. Je me laisse envelopper durant quelques secondes avec un sentiment de nostalgie : mon père ressemblait à Rick, grand et imposant, avec une propension permanente et parfois excessive, au bonheur et à l'allégresse. Ils sont devenus amis dès que ma mère les a présentés. A chaque fois, c'est un peu de lui que je retrouve à travers mon oncle. C'est aussi celui dans la fratrie qui ressemble le plus à ma grand-mère, en termes de caractère. C'est une raison de plus pour qu'il soit mon oncle préféré.

- J'ai amené de quoi fêter nos retrouvailles, tu as vu ?

- Oui j'ai vu... pas sûr que maman soit d'accord... tu l'as prévenue ?

Rick roule de grands yeux en frappant son front du plat de la main :

- Certainement pas, malheureux !! Je compte sur toi pour ne pas le faire non plus, elle me tuerait !

Mon oncle est une vedette : tout le monde éclate de rire devant son air faussement catastrophé. Il me fait un clin d'œil, très fier de son effet.

Je me tourne enfin vers mes cousins : nous nous embrassons en nous serrant dans les bras, puis je leur présente Lya et Jonas.

Dylan ressemble à son père : il est bâti comme une véritable armoire et son visage rond est une invitation permanente à la jovialité ; Sofia, étrangement, ressemble plutôt à ma mère : elle est fluette et relativement petite ; son visage sérieux et ses yeux en amandes me rappellent aussi ma grand-mère.

James et Talia quant à eux sont deux versions presque jumelles l'un de l'autre – et pourtant, ils ont 4 ans d'écart. Ils sont tous les deux de grands sportifs – ce que la largeur de leurs épaules laisse aisément deviner. Et comme la plupart des autres membres de la famille Mendoza – hormis moi, je crois - il y a toujours un sourire prêt à éclore sur leurs lèvres.

Ils ont posé leurs sacs dans l'entrée – nous nous en occuperons plus tard. Pour l'instant, c'est l'heure des agapes : mon oncle dispose tout ce qu'il a apporté sur le comptoir : il y a de la charcuterie, des jalapeño poppers, qui sont des piments fourrés, du pain au maïs et des garlic knots.

- Ça, c'est pour l'entrée... et voici le chili de Carmen ! annonce-t-il en sortant un grand faitout de la glacière. « A réchauffer sur feu doux pendant environ une demi-heure ! » ajoute-t-il en levant solennellement un doigt à la manière d'un professeur. Je souris : il imite à la perfection ma tante détaillant ses recommandations.

Jonas s'avance en tendant les mains et dit à mon oncle :

- Donnez, je vais le faire. » Manifestement, il n'entend pas se laisser déposséder de son rôle de chef en cuisine – et personne ne le lui contestera tellement ça semble une évidence. Rick ne s'y trompe pas :

- Jonas, il faudra que tu viennes chez nous, un jour. Carmen aimerait bien se lancer dans la cuisine cajun et Sam nous a dit que tes gombos étaient exceptionnels !

- Vous savez bien qu'il ne faut jamais prendre au sérieux ce que dit Sam, non ?

De nouveaux éclats de rire résonnent dans la pièce, tandis que chacun prend place autour du comptoir pour se servir un verre et picorer les délices qu'a préparés ma tante.

- Mais je viendrais avec plaisir apprendre à faire le chili !

Les étoiles de Persée 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant