Nous quittons la station, direction Pagosa Springs par la Route 160.
- Mel n'avait pas l'air de trouver que c'était une bonne idée que tu m'accompagnes !
- Oh... pas grave. Le pays s'en remettra ! répond Connor simplement. Et puis je veux vraiment apporter ma contribution à ce séjour – tu me laisses payer hein ?
Je hoche la tête : je suis plutôt d'accord avec ça. Et puis, nous avons à peu près ¾ d'heure de trajet, ce sera l'occasion de faire connaissance... Je branche mon téléphone et lance une de mes playlists préférées. « Get lucky » commence à résonner dans l'habitacle. Dès les premières notes, Connor fredonne en battant le rythme :
- Bons goûts musicaux, Sam. Un point de plus pour toi ! En même temps, tu es musicien...
- Ouais, enfin, musicien... Je joue juste de la guitare.
- Ouais, « juste » ... répète-t-il en mimant des guillemets. Moi j'ai toujours trouvé ça génial, de savoir jouer d'un instrument. Il y a des gens, ils sortent leur guitare ou leur violon, en te demandant « qu'est-ce que tu veux que je joue ? ». Tu leur fredonnes un truc, et hop ! ils te claquent les notes ou les accords rien qu'en écoutant l'air. Ça m'impressionne vraiment.
- Eh !! Je t'impressionne alors ?
Je lui lance un rapide regard amusé. Il a l'air surpris par ma question et ne répond pas tout de suite. J'espère qu'il a compris que je plaisantais ! Finalement, il se ressaisit en esquissant un sourire :
- Ouais. On peut dire ça. A condition que les mecs qui dessinent t'impressionnent aussi...
Cette fois, je ris franchement, parce que je ne m'attendais pas à ça : il m'a eu. Un point partout.
- Difficile d'être impressionné : je n'ai rien vu !
- Je te montrerai.
Il a prononcé ces mots de façon un peu solennelle et d'une voix sourde, comme quand on fait une promesse qui nous engage. Ça m'intrigue... et je me souviens tout à coup du bref échange que nous avons eu hier sur la route, quand Mel a parlé de ses dessins. Il n'avait pas l'air emballé à l'idée que je les voie. Après tout, je peux comprendre : on ne se connait pas vraiment et exposer ses dessins, c'est aussi s'exposer soi-même, d'une certaine manière. Il faut un minimum de confiance. D'ailleurs, hier, ça n'a pas été évident pour moi non plus, de sortir ma guitare, justement parce qu'il était là.
- OK. Mais il n'y a rien d'obligatoire hein ! Quand est-ce que tu as commencé à dessiner ?
- Dès que j'ai su tenir un crayon, je crois. Vers 5-6 ans, je « photographiais » ce que j'avais sous les yeux et je le transposais sur la feuille : une véritable imprimante sur pattes, quoi !
- Mais qu'est-ce que tu dessinais ?
-Tout et n'importe quoi, du moment que ça me plaisait : un héros de BD ou de Manga, un logo, un paysage... j'ai même dessiné des boites de conserve à une époque !
- Andy Warhol n'est pas mort !
- Tu m'as découvert !! Je suis sa réincarnation post-cosmogonique ! déclare-t-il en mettant la main sur son cœur.
- Et tu as toujours su que tu voulais en faire ta vie ?
- Non, ça, c'est relativement récent. Je suis allé à Paris il y a 4 ans – ma mère est franco-américaine et mes grands-parents y vivent. J'ai visité le Louvre, le musée Pompidou, le musée d'Orsay, celui de Rodin aussi... sans compter les rues de Paris : pour certaines, ce sont vraiment des œuvres à elles toutes seules, qui parlent d'art et d'histoire. Bref, j'ai pris une grosse claque ! La révélation ! Depuis, je ne dessine plus seulement, je travaille à apprendre les techniques, les courants, et tout le reste.
Ce gars n'a pas besoin de me montrer ses dessins : je suis déjà impressionné ! Mais je ne le lui dirai pas, sinon il risque de ne pas tenir sa promesse !
Nous parcourons les rayons du supermarché au pas de course. Quand nous en sortons les bras chargés de sacs, il est 17 heures passées, le ciel s'assombrit déjà. L'air est glacial et la neige crisse sous nos pas. J'ai hâte d'être au chalet, pour me changer – nous avons toujours nos tenues de ski sur nous ! – et me poser au coin du feu.
Le grand salon est vide, lorsque nous arrivons, mais le feu crépite dans la cheminée et les abat-jours dispensent une douce lumière orangée.
Les autres doivent être en haut.
Nous posons les sacs dans la cuisine et commençons à ranger ce que nous avons acheté, après avoir accroché nos blousons dans l'entrée. Les choses se font naturellement, c'est super agréable. Je connais mieux Connor maintenant, nous avons pu tisser des liens et je peux dire que je l'apprécie. C'est un mec chouette et intéressant. Sans compter sa bogossitude, bien-sûr !
De ce fait, je ne suis pas mécontent de prolonger encore de quelques minutes ce moment entre parenthèses, c'est comme un sas avant le retour à la vie de groupe, qui ne manquera pas d'être un peu plus animée !
- Ça te dit, cuisses de poulet rôties et gratin de légumes pour ce soir ? me demande-t-il de l'autre côté de l'ilot central.
- Très bien... mais tu prends les commandes pour le gratin, je ne sais pas faire !
- Tu verras, c'est super simple ! Une recette de mes grands-parents français !
Il m'adresse un grand sourire encourageant, tout en posant les oignons et les courgettes sur le plan de travail.
- OK ! C'est toi le chef... pour ce soir seulement, hein ! Ne te fais pas d'illusion !
Nous rions tous les deux de cette blague – qui est un peu nulle, il faut bien l'avouer. C'est tout moi. Je réalise que je me montre tel que je suis en réalité, sans essayer de jouer un rôle. C'est assez rare en ce qui me concerne – je reste sur la réserve un bon moment, lorsque je rencontre des gens pour la première fois. En fait, j'ai l'impression que nous nous connaissons depuis longtemps, tout est évident et facile. Et pourtant, Connor n'est pas un ami. C'est le copain de Mel, avant tout. Le mec de mon ex. C'est vraiment bizarre.
- Ah ! Les voilà enfin les super-nouveaux-meilleurs amis !
Mel vient d'apparaitre, un grand sourire accroché aux lèvres. Elle s'est changée et porte un pull à col montant noir qui épouse ses formes, avec un jean ajusté. Elle a aussi relevé ses cheveux en un chignon un peu négligé : je la trouve vraiment belle.
- Hello jolie fille ! Nous venons de terminer : je te rends Connor ! Merci de me l'avoir prêté quelques heures !
Celui-ci lève les yeux au ciel, tandis que Mel s'approche de lui en me tirant la langue.
- Est-ce qu'il n'a pas été trop méchant avec toi ? s'enquiert-elle en minaudant. Il faut me le dire !
- Non, pas trop. Il accueille Mel dans ses bras, et la serre contre lui. Je croise son regard, qui s'illumine d'une lueur moqueuse : « Enfin, un peu quand même », ajoute-t-il alors.
Je secoue la tête, faussement choqué.
- Puisque c'est comme ça, je préfère partir ! Très loin ! A l'autre bout de la maison !
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Les étoiles de Persée 1
Ficção Adolescente(TERMINE) Sam a 17 ans. Il est passionné d'astronomie. Il connait Mel, Lya et Jonas depuis l'enfance - ensemble, ils forment la Brownies Team. Pour célébrer le nouvel an, Sam a invité ses trois meilleurs amis à passer une semaine de vacances dans le...