Connor se penche en tendant la main pour s'emparer du carnet :
- Si tu veux...
Je l'arrête d'un geste.
- Non c'est bon. Il est superbe.
Elle est belle à tomber. Juste incroyablement belle. Elle me fixe – en réalité, c'est Connor qu'elle fixe – et l'éclat dans ses pupilles est si lumineux, si intense, qu'on devine les sentiments qui l'habitent. C'est ce qu'il a essayé d'exprimer, du reste. Et il a réussi. Mais je ne me trompe pas : c'est à lui que ce regard est adressé. A personne d'autre.
Ses yeux sont un peu plissés, comme si elle venait de se réveiller et qu'ils devaient s'accoutumer à la luminosité. Ses lèvres s'entrouvrent dans un léger sourire, et ses cheveux tombent en cascade sur ses épaules nues. Ce portrait est super émouvant, sensible. Il me tord les entrailles. Mais ce qui est étrange, c'est que ce n'est pas de la voir elle, qui me ronge... pas vraiment. C'est confus dans mon esprit, et frustrant aussi.
Nous contemplons ce dessin en silence un bon moment. Le temps est comme suspendu – nous avons été projeté dans une bulle où tout est juste parfait - et je n'ai ni envie de parler, ni envie de faire le moindre geste de crainte de briser ça. Je sens l'épaule de Connor contre la mienne – elle bouge doucement à chacune de ses respirations.
Finalement, il tend le bras et tourne la page. C'est la dernière.
De nouveau, il se passe quelque chose – une morsure au fond de la poitrine cette fois. Mais celle-ci ne fait pas mal. Enfin je crois. Il y a quelque chose de profondément plaisant dans la sensation que je ressens à cet instant. Ça ressemble aussi à une immense vague que je me prends en pleine figure : chaleur et explosion de joie mêlées.
C'est moi. Plus exactement, c'est un gars qui joue de la guitare, dans le salon où je me trouve en ce moment. Confortablement installé dans un canapé, un pied posé sur la table basse devant lui. Les ombres projetées par le foyer dansent sur son corps, ciselant les courbes de ses épaules musclées, de son ventre plat, de ses doigts posés sur les cordes. De son visage aussi. Et c'est là que je me rends compte que ce n'est pas moi. Ce type-là ne me ressemble pas – il a les pommettes hautes et super bien dessinées, des yeux en amande surmontés de sourcils épais en un arc parfait. Ses lèvres s'étirent en une ligne pleine et un peu boudeuse – ce qui est plutôt harmonieux.
Le décor est chaleureux, plongé dans la pénombre – ce qui fait ressortir encore plus le sujet principal : le musicien. Des milliards d'ondes positives flottent dans cette composition – Connor a su y exprimer une plénitude et un bien-être incroyables. C'est un de mes dessins préférés. Sans hésitation.
Je sens le regard de Connor posé sur moi ; il attend sans doute un commentaire ou une réaction. Mais je ne peux pas quitter ce dessin des yeux. Au plaisir d'avoir pensé un instant qu'il m'avait dessiné, moi, a succédé une déception que je ne peux m'empêcher d'éprouver, même si bien-sûr, je ne lui en veux pas du tout.
J'ai la gorge un peu nouée, mais je finis par murmurer :
- C'est un super dessin, Connor. On a envie de s'assoir près de la cheminée et d'écouter la musique, les yeux perdus dans le vague. De passer l'hiver pelotonné dans ce salon en admirant la neige tomber.
- C'est cool... » conclut-il en hochant la tête.
- Et le type, là, il est plutôt beau gosse. Ce qui ne gâche rien.
J'esquisse un sourire, comme si c'était une blague, mais ma voix sonne vraiment faux à mes oreilles.
- Sam... c'est toi, le type, souffle Connor d'une voix si grave qu'elle est à peine audible. Tu es ce type.
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Les étoiles de Persée 1
Ficção Adolescente(TERMINE) Sam a 17 ans. Il est passionné d'astronomie. Il connait Mel, Lya et Jonas depuis l'enfance - ensemble, ils forment la Brownies Team. Pour célébrer le nouvel an, Sam a invité ses trois meilleurs amis à passer une semaine de vacances dans le...