Chapitre 11

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En effet, Dylan a essayé de me joindre hier : il apparaît dans le journal des appels. Nous devions être sur les pistes et je n'ai pas entendu mon téléphone sonner. Dans son message, il me demande s'il peut se joindre à nous pour le réveillon, avec sa sœur Sofia. La soirée à laquelle ils avaient initialement prévu de participer est annulée – nous sommes leur dernière chance ! Le ton désespéré qu'il emploie pour terminer son message m'arrache un sourire. D'autant que je suis d'accord à 200% pour qu'ils fassent la fête avec nous ! J'adore tous mes cousins, que ce soit Malone, James et Talia du côté de Rick, ou Dylan, Sofia et Callista du côté de Julian, mais c'est vrai que Dylan et Sofia sont ceux avec lesquels j'ai le plus d'affinités – sans doute parce que nous avons à peu près le même âge.

Depuis que la famille a déménagé pour Phoenix il y a deux ans, nous n'avons eu que peu d'occasions de nous revoir. Justement, ce réveillon en est une excellente !

Je lui envoie un SMS pour lui dire que nous les attendons le 31 de pied ferme !

Je rejoins les autres et leur annonce la nouvelle : le réveillon finalement ne sera pas une soirée « exclusive brownies » !! Et c'est tant mieux !

Quelques minutes plus tard, nous voilà partis en direction de Pagosa, pour récupérer les motoneiges que nous avons réservées.

Je ne sais pas pourquoi c'est précisément Connor qui est assis sur le siège passager, mais il se trouve que c'est bien lui. J'ai vu, pourtant, qu'il essayait de négocier une place à l'arrière, mais Lya et Mel étaient en pleine discussion – impossible de l'interrompre, désolées - et Jonas, comme d'habitude, n'a absolument rien voulu savoir – ce genre de considération lui est complètement étranger.

- C'est quoi, ça ?

Qui a entendu la voix sèche de Connor, à part moi ? Personne : derrière, ça piaille et Jonas semble absorbé par le paysage qui défile.

De quoi parle-t-il ? De mes phalanges, bien-sûr. J'ai aperçu dans ma vision périphérique son doigt pointer ma main posée sur le levier de vitesse. Je sais qu'il me regarde. Il attend vraiment une réponse.

Comme je reste silencieux, il insiste.

- Sam, qu'est-ce que c'est ?

- Rien. Laisse tomber.

Je tourne la tête une demi seconde, et je croise son regard. Toute lumière s'est enfuie, ses prunelles sont aussi sombres que la nuit. Je sais exactement ce qu'il pense. Il doit y avoir une connexion intersidérale qui lie nos deux cerveaux, ou un truc de Poudlard, enfin, je ne sais pas. Mais il sait. Et puis qu'est-ce que ça change ?

Nous n'échangeons plus un mot durant le reste du trajet. Je suis concentré sur la route, et fredonne au rythme de vieilles chansons de Springsteen. La soirée d'hier m'a donné envie de me replonger dans les années 80 du Boss.

Je viens à peine de couper le contact, quand Connor se tourne à demi et interpelle Mel d'une voix sonore :

- Eh, Babe, tu as vu les doigts de Sam ?

Manifestement, il s'agissait de mots magiques car la conversation des filles cesse instantanément et tous les regards se braquent vers nous. Jonas pince les lèvres d'un air dépité, ce qui signifie quelque chose du style : « J'en étais sûr ». Lya n'est pas dans mon champ de vision, mais j'imagine aisément le copié-collé. Ils déverrouillent tous les deux leur portière et sortent de la voiture – ils reconnaissent les signes avant-coureurs de l'orage - alors que Mel se penche vers moi un peu trop précipitamment à mon goût.

- Quoi, les doigts de Sam ? Merde ! Sam, non ! Tu fais chier ! Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

Je jette un œil sur le côté : Connor regarde droit devant lui, immobile.

- Espèce de bâtard ». Ma voix est méprisante à souhait – et je m'en félicite. J'aurais bien quelques qualificatifs un tantinet plus gratinés à lui envoyer en pleine face, mais je me retiens. Pour Mel.

Il hoche la tête sans ciller, sans même tourner les yeux vers moi, puis il quitte à son tour la voiture et claque la portière.

Mel est interloquée et pas loin de l'hystérie à présent.

- Quoi ? Mais que se passe-t-il ici ? Pourquoi le traites-tu de bâtard ? Tu peux m'expliquer ?

Sa réaction ne m'étonne pas. Nous avons vécu ça quelques fois, par le passé – avant que nous sortions ensemble, et même pendant. Alors, il m'arrivait régulièrement d'exprimer ma colère par la violence : j'étais capable de m'arracher les poings sur du béton, juste pour me prouver que j'étais une merde. La caricature du pauvre garçon mal dans sa peau : pitoyable, franchement. Mais elle en a souffert, souvent. Elle ne comprenait pas. Je ne me comprenais pas vraiment non plus, c'est un fait. Bref, j'ai grandi. La boxe m'a aidé à canaliser et à mieux employer l'énergie qui s'agite en moi. C'était censé être terminé tout ça. Mais bon, c'était avant Connor.

Je pousse un long soupir.

- Je suis désolé, Mel. Je n'aurais pas dû. J'essaye de lui adresser mon plus beau sourire, pour l'attendrir un peu. Raté.

- Pas dû quoi ? réplique-t-elle d'une voix glaciale. « L'insulter inutilement ou bien essayer de casser un mur en béton à mains nues ? »

J'hésite à tenter l'humour... mais en réalité, je n'en ai pas vraiment le courage :

- Les deux. Je suis archi, archi désolé. Vraiment.

- Je ne comprends pas. Que s'est-il passé entre cette nuit et maintenant ? Qu'est-ce que tu veux, Sam ? Est-ce que ce n'est pas super chouette, de se retrouver là, tous ensemble ? Franchement, ce sont les meilleures vacances de ma vie ! Je ne sais pas où nous serons dans un an, mais ça, je le sais. Tu n'es pas d'accord ?

Je capitule : comment résister à son ton implorant, alors que j'ai tout à me faire pardonner ?

- Elles sont génialissimes, ces vacances. On oublie ça, d'accord ?

Elle acquiesce d'un signe de tête. Nous sortons de la voiture et nous nous enlaçons un long moment.

- Je te demande pardon, Mel.

- C'est bon, beau gosse, je te pardonne.

Evidemment, ses paroles n'ont pas exactement le sens que j'aimerais leur donner, mais je vais m'en contenter, pour l'instant.

Les étoiles de Persée 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant