58 - Maman

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 Adossée sur ma moto, je me contente d'observer les gens marcher autour de moi. Je déteste cet endroit, il ne dégage aucune once de joie. On voit tout type de visage ici, des visages tristes, désespérés, vides, livides. Cet endroit où on se sent tellement vulnérable...

 Je hais les cimetières, le fait d'y aller fait remonter la bile en moi. Lorsque je regarde toutes ces pierres tombales, j'ai cette angoisse en moi qui monte petit à petit jusqu'à m'engloutir complètement.

 Non pas parce que j'ai peur de la mort. Non pas parce que j'ai peur de me retrouver ici un jour. Ce n'est pas du tout ça.

 J'ai cette angoisse parce que je me dis que, moi aussi, je provoque des morts. Moi aussi je participe à leurs fins, et c'est horrible. C'est comme si un petit parasite venait se déposer en moi, et faisait en sorte de me faire culpabiliser.

 Regarde-toi, tu es un monstre.

 Tu ne te rends pas compte du mal que tu fais ?

 Tu es détestable, tu n'es pas humaine.

 Je me mets à fermer les yeux et laisse couler une seule et unique larme. Je l'essuie paresseusement avant de prendre une grande inspiration. Je rouvre les paupières et finis par enfin me décoller de ma moto.

 La tête baissée, je m'avance calmement vers le marchand de fleurs un peu plus loin. Je ne me vois pas aller la voir sans lui ramener des fleurs. Elle adorait les fleurs, elle adorait prendre soin de son jardin qu'importe la saison. Elle rêvait même de déménager ailleurs et de pouvoir avoir une maison avec une serre. Elle avait la main verte, et elle adorait me montrer comment elle s'en sortait avec les plantes.

 J'expire lentement, retenant mes larmes de couler. Je me sens vulnérable, et je déteste ce sentiment. Je peux me permettre de l'être, seulement quand je suis seule, ou alors quand je suis avec elle. J'ai honte de l'être dans d'autres situations, je déteste ça.

   - Señora ? me sortit une voix de mes pensées.

 Je relève la tête et vois ce jeune homme me sourire, signe que c'est à mon tour. Je lui renvoie son sourire et m'avance doucement. Alors que j'arrive face à lui, un autre homme, plus âgé, descend de leur petit camion, des bouquets de fleurs dans les mains. Je me mets à sourire en le reconnaissant.

 Il relève la tête, demandant à son fils de ramener les pots vides pour mettre les bouquets à l'intérieur. Ce dernier s'excuse auprès de moi avant d'aller aider Sebastián à tout entreposer. Le père se met à soupirer avant de lever la tête dans ma direction. Il se met alors à me sourire, m'ayant parfaitement reconnue à son tour.

   - Leandra ! Ça fait si longtemps déjà...

   - Buenas tardes Sebastián, soufflai-je doucement.

   - J'imagine que tu es venu voir ta mère, en déduit-il en relâchant ses épaules.

 Je hoche la tête alors que je peux voir une lueur de tristesse dans son regard. Il m'envoie un sourire qui se veut compatissant avant de me faire signe d'attendre quelques secondes. Il entre dans son camion et en ressort quelques instants plus tard, un bouquet de fleurs en main.

   - Je suis certain que ce bouquet sera parfait, me fit-il doucement en me le tendant.

   - Ouais, il lui plaira, souriais-je en acceptant le bouquet. Tu te rappelles encore de ses goûts il faut croire.

   - Évidemment ! Enfin, je me rappelle qu'elle avait beaucoup de rosiers dans votre jardin, c'est surtout de ça que je me rappelle en vérité.

 Je me mets à rire doucement. Sebastián n'était pas vraiment un de nos voisins, mais il habitait dans la même rue que nous. Il arrivait de temps en temps que ma mère lui donne des roses pour son commerce. Il est devenu un ami très proche, au même titre que Cléo et Julian.

Liaison SanglanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant