Liaison Sanglante

1 - Journée de travail

 Je fais passer ma main sur mon front pour essuyer la sueur présente. Les étés à Medellín sont souvent supportables, mais aujourd'hui la chaleur ne l'est pas. Et encore, nous ne sommes qu'au matin...

 Assise autour d'une table en terrasse d'un petit café en face de ma collègue, je regarde autour de moi. Tous les gens se promènent en short et top léger. Je suis clairement la seule qui est habillée d'un débardeur et d'un pantalon.

 Nina me regarde par dessus sa boisson en plissant les yeux, d'un air désapprobateur. Je sais ce qu'elle pense de mes vêtements, mais hors de question que je me mette à regretter davantage.

   - Nina, soupirai-je, ne me regarde pas comme ça s'il te plaît.

 Elle se met à se mordre la lèvre inférieure tout en poussant un petit gémissement désapprobateur. Elle soupire à son tour.

   - Leandra, il faut vraiment que tu penses à mettre d'autres vêtements. Sérieusement, il fait plus de 30 degrés ! s'exclama-t-elle. Quelle personne sensée s'habille encore en pantalon sous un temps à 30 degrés ?

 Je lève les yeux au ciel. J'en suis parfaitement consciente de tout ça, mais non. Si c'est pour me taper les regards pleins de jugement des gens autour de moi, non merci...

   - Ça va Nina, tu sais très bien pourquoi je ne veux pas.

   - Oui, mais il faut que tu changes ton point de vue sur les gens bon sang.

 Je me mets à rire jaune. Pourquoi changer son point de vue sur les gens qui nous entourent alors qu'on voit juste sur toute la ligne ? Ils ont tous cette fâcheuse manie de tout regarder autour d'eux, de tout juger et de se moquer ouvertement s'ils trouvent quelque chose qui leur paraît différent.

 Ou alors il y en a d'autre qui jettent des regards de pitié. Ceux-là sont les pires.

   - Non, déjà je ne changerai pas d'avis, répliquai-je à Nina, et je ne mettrai pas de short ou de robe non plus.

   - Leandra-

   - Les gens sont tous pareils Nina, tu ne pourras pas changer leur comportement quelques fois inapproprié.

 Elle finit par soupirer et lève les bras en l'air, comme signe de défaite. Je reporte mon attention vers ma boisson et commence à secouer la paille dans mon verre tout en jouant avec les glaçons à l'intérieur.

 J'adorerais vivre comme tout le monde, m'habiller comme tout le monde. Faire tout comme tout le monde. Mais la vie en a décidé autrement pour moi. Quel enfer. Il arrive des moments où je regrette de m'être lancée dans une telle carrière. Les imprévus arrivent, certes, mais les conséquences peuvent être terribles. J'en ai eu la preuve lorsque j'ai perdu ma jambe droite.

 Parfois je ne peux m'empêcher de boiter lorsque je marche, je prends dix minutes à monter les escaliers chez moi et il m'est clairement impossible de travailler comme avant. Je dois rester assise derrière un ordinateur si je veux me rendre utile...

 Depuis que j'ai cette prothèse je ne peux plus me permettre d'aller sur le terrain. À la place je me retrouve derrière un ordinateur. Il faut dire que mes compétences en informatique m'ont clairement permis de garder mon job, sinon le gouvernement m'aurait mutée si ce n'est renvoyée.

 Quoi qu'il en soit, au moins je garde tout de même un semblant d'indépendance. Bien que les séances de rééducation sont encore d'actualité, je parviens à ne pas dépendre d'aide extérieure et sais m'occuper de moi toute seule. Avec quelques aménagements en plus, faut pas déconner non plus.