31

34.9K 2.3K 238
                                    

Le soir même, après avoir mangé un sandwich chez moi, je m'en vais au terrain. Tout est redevenu comme avant, comme si la fusillade de tantôt n'avait jamais existé. Les hommes rient à gorges déployées et se font des tapes dans le dos. 


Au loin, j'aperçois Bella et Skill en pleine discussion. Lorsque ce dernier croise mon regard, il s'approche à grand pas de moi et pose sa main sur mon épaule. 


-Merci pour Bella, commence t-il avant de poursuivre : Tu vas mieux ?

-Euh, oui.


Merci pour Bella ? Je me demande ce que Magnifiqua a pu lui dire... 


-Où est Cassio ? Je ne l'ai pas revu depuis que nous sommes rentrés, dit-il tandis que Bella nous rejoins.

-Dans sa casa, mais il est énervé, tu ne devrais pas... 

-Ne t'inquiète pas, je vais lui remonter le moral, déclare t-il en souriant.


Tandis que Skill s'en va du terrain, Bella se dresse face à moi et croise mon regard avant de m'adresser un micro sourire amical. 


-On peux aller marcher ? me propose t-elle.


Sans réfléchir, je hoche la tête et à notre tour, nous sortons du terrain. A vrai dire, cette excès de haine que je ressentais en son égard semble désormais appartenir à un rêve. Oui, durant la fusillade, même si elle ne s'est pas faite remarqué et n'a pas bronché, j'ai comme découvert une autre Bella. Moins superficielle, moins garce et beaucoup plus courageuse que moi. 


-Je voulais te remercier pour m'avoir sauvé la vie, tout à l'heure, dit-elle tandis que nous descendons lentement la pente de la favela. 


C'était donc pour ça que Skill me remerciait. Tout à l'heure, j'avais fait échapper la catastrophe à Bella en la poussant au sol. La balle la frôlé et elle s'en est tirée saine et sauve. 


-Mais aussi pour ne pas m'avoir abandonné au terrain. Tu sais, c'est la première fois que je vivais ce genre de chose, si tu serais partis sans moi, je pense qu'à cette heure-ci, je ne serai plus de ce monde, poursuit-elle en me lançant un sourire vaguement triste. 

-C'est normal, je me contente de répondre. 


Bella s'assoit alors sur un banc, et après quelques secondes, je me résous à faire de même. 


-Et merci d'avoir caché les armes devant ma mère, dis-je en fixant mes baskets. 

-De rien. Elle n'est pas au courant pour le gang ? 

-Non. Et je ne préfère pas qu'elle le sache. Elle ne parle plus à mon grand-frère à cause de ça...


Elle m'adresse un sourire et détourne le regard vers une petite casa éclairée. Il fait presque nuit noire, et si il n'y aurai pas les reflets de la lune ainsi que les quelques casas éclairées autour de nous, nous n'aurions pas pu nous voir. 

C'est alors que je vis une chose que je n'aurai jamais cru voir de la part de cette personne. Même si je ne la connais pas beaucoup, voir pas du tout, je m'étonne de voir cette larme couler le long de sa joue. 


-Bella ? dis-je en posant ma main sur son dos, une pointe d'anxiété dans la voix. 


Elle eut un rictus amusé et pourtant triste et secoue faiblement la tête de gauche à droite. 


-Appelle moi Lya, s'il te plaît, soupire t-elle en baissant la tête. 


Lya ? Alors elle s'appelle Lya ? C'est un beau nom. Un beau nom qui lui va à ravir. 

Et je dois avouer que c'est étrange de la voir pleurer. Je n'aurai jamais cru dire ça un jour mais... cette larme sûrement lourde en sentiment n'est pas en accord avec son magnifique visage froid et gracieux. 

Qui aurait cru que mademoiselle aux allures parfaites pouvaient être aussi chagrinée ? Il ne s'agit là que d'une seule larme, mais il ne m'a pas fallu longtemps pour la différencier de celle d'une personne normale... 


-Qu'est-ce qu'il y a ? dis-je en caressant légèrement son dos, compatissante. 

-Il y a que j'en ai marre, tout ça me dépasse complètement. Mais que veux-tu que j'y fasse ? Je ne peux rien y faire, dit-elle dans un souffle. 

-De quoi tu parles ? 

-Tout ça. Toute cette... comédie. Tu sais Thalya, tu dois me prendre pour quelqu'un d'intouchable, quelqu'un qu'on blesse difficilement et dont la notoriété est inégalable. Mais sache que je n'ai jamais voulu être la femme que je suis aujourd'hui. A l'époque, j'étais une femme normale et comblée de bonheur. On peut dire que je l'avais, ce rêve américain dont tout le monde parle. Et maintenant, je n'arrive pas à poser le doigt sur ce sentiment. Ce sentiment qui m'a poussé à devenir la femme que je suis, ce sentiment qui me force, aujourd'hui, à agir contre le gré ma propre volonté. 


Elle se tait quelques secondes. Je m'attends à voir d'autre larmes déborder de ses paupières, mais non, rien. Et c'est la boule à la gorge que je continue de caresser son dos, de haut en bas. 


-Tu sais, je me demande souvent ce qu'aurait été ma vie si je n'avais pas titillée ce bonheur éphémère. Pas toi ? 


Confuse, je ne réponds pas, incertaine de comprendre le sens de sa question. Mais d'un côté, j'ai peur de devenir comme elle le dit, cette femme qui agit contre le gré de sa propre volonté. Et pour cause, à l'heure actuelle, ça m'arrive, non ? 


-Tu ne regrettes pas d'être entrée dans le gang? demande t-elle, la tête levée vers le ciel.


Je baisse la tête au sol et sens les larmes me monter aux yeux. En temps normal, j'aurai défendu coûte que coûte le gang, mais face aux déclarations et confessions de Lya, je ne peux nier les faits une fois de plus.


-La vie est un parcours semé d'obstacle, et dans ma vie, les obstacles sont des regrets. Je regrette de ne pas m'être imposée ce choix, car dans ma tête, il était trop tard, je devais entrer dans ce gang ou j'allais mourir. Je regrette d'avoir rencontré certaine personne qui à l'heure d'aujourd'hui ne sont plus de ce monde par ma faute. Je regrette de constamment mentir à ma mère lorsque je pars en mission et l'effrayer lorsque je rentre à la maison, les bleus et les cicatrices gravés sur mon corps. Finalement, ma vie n'est pas semée de regret. Elle en est un, de regret. 


Ce n'est qu'une fois après avoir fini de parler, que je sentis ces deux petites larmes perler aux coins de mes yeux. Je les essuie d'un revers de main et croise le regard de Lya. Cette dernière me regarde, complètement anéantie. 

Mon Dieu, ce que ça fait du bien de parler à quelqu'un. De parler à quelqu'un d'extérieur au gang.


-C'est horrible, déclare t-elle en détournant le regard.

-De quoi ? 

-C'est horrible de se dire que toi, tu as été contrainte de faire ce que tu fais. Et c'est horrible de réaliser que moi, j'ai eu le choix. 

-Si différente et si pareil à la fois, dis-je en esquissant un sourire, les yeux perdu à l'horizon.

La Favela du Crime - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant