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Mon grand frère me fixait d'un oeil noir. Visiblement, il n'était pas content de me trouver ici. Son regard s'abaissa lentement vers l'arme que je tenais dans ma main droite, comme s'il n'avait réellement aucune idée de ce que je faisais dans les parages. J'en profitai pour récupérer mon téléphone portable au sol.

- Je cherchais Calebe, commençai-je en omettant de dire une partie de la vérité, il était dehors lorsque les échanges de tirs ont commencé, et je m'inquiétais avec mama, alors...

Nous nous regardions en chiens de faïence. Différentes émotions passèrent sur son visage, et le temps d'une seconde, je le cru capable de m'assommer pour me traîner de force à la casa où ma mère devait se faire un sang d'encre. Mais bientôt, quelque chose de nouveau figea ses traits, de la résignation. Ce mur invisible qui jadis nous séparait l'un l'autre sembla alors s'effondrer, et contre toute attente, il combla l'espace entre nous et me prit dans ses bras nus et noirs de suie. Figée, je fus incapable de lui rendre son étreinte. Il se détacha de moi au bout de quelques secondes qui me parurent une éternité et son regard bienveillant chercha le mien.

-Tâche de ne pas te faire tuer, finit-il par m'adresser, un sourire indescriptible aux lèvres avant de tourner les talons.

Incrédule, je fixai sa silhouette s'éloigner dans la pénombre. Mon cœur fit un bond lorsque je réalisai que c'était peut-être la dernière fois que je voyais Thomaz. J'aurai dû courir vers lui, le serrer fort dans mes bras et lui dire combien je l'aimais, mais un nœud compact semblait s'installer dans mon estomac, et je fus incapable d'esquisser le moindre geste. Lorsqu'une détonation se fit entendre au loin cependant, je sortis de ma torpeur. J'étais seule dans une ruelle étroite et avalée par la fumée de l'incendie. Comme si je prenais conscience de la réalité qui m'entourait, je me mise à cracher mes poumons. Plaquant mon bras contre mon nez et ma bouche, je me mise à courir le plus vite possible, ne sachant pas où aller exactement si ce n'est loin de la fumée asphyxiante.

Lorsque je parvins enfin à m'éloigner du secteur est et de ses flammes dévastatrices, mes yeux et mes poumons me brûlaient. Un vacarme assourdissant me fit lever les yeux au ciel : des sortes d'avions planaient au dessus de la favela et vidaient des cuves pleines d'eau sur des casas en feu. Recouvrant peu à peu mes esprits, je mis quelques secondes à me repérer et à localiser la provenance de la fusillade la plus proche de moi. Manque de pot ou coup de chance, lorsque je parvins à me hisser sur un toit en rampant pour avoir une vue dégagée sur la situation, je réalisai que je venais sans doute de tomber en plein dans la gueule du loup : il semblerait que le plus gros du conflit se déroule ici. La place - que l'on appelle communément la Place des affaires car c'est ici qu'ont lieu les plus grosses transactions - est bondée de monde. Deux camps se distinguent, celui de notre gang, et celui du Parti Rouge avec à sa tête Eliott Ramoz. Il doit bien y avoir une centaine d'hommes et les échanges de tirs sont tels que je ne sais où donner de la tête.

Soudain, un léger froissement dans l'air me fit sursauter. En me retournant, je tombe nez à nez avec Adan, l'homme aux toits. S'il est ici, c'est qu'il a eu des nouvelles de mon petit frère et à cette pensée, mon coeur rata un battement. La fusillade en contrebas n'occupa dès lors plus mon esprit.

-J'ai retrouvé ton petit frère, dit-il alors en jetant un coup d'oeil sur la Place des affaires.

-Il va bien? le pressais-je en lui agrippant le tee-shirt, énervée qu'il prenne autant de temps à cracher le morceau.

-Il est avec le Chefe, répondit-il comme si cela répondait à ma question, il était Place du marché quand Cassio l'a trouvé. Il a jugé plus prudent de le garder à ses côtés en attendant que ça se calme.

La Favela du Crime - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant