⇝ Chapitre 42

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— Non, Mike, tu ne vas pas écrire une ballade qui décrit une romance entre un cookie et un verre de lait ! le sermonne Mathieu, du même ton brutal qu'il utilisait en colle pour nous réprimander.

A côté de Kit, Alice tressaille.

— Je plaisantais ! se justifie Mike en remettant ses lunettes.

— J'espère bien !

— Il est souvent comme ça, votre manager ? glisse Freddie, à l'attention de Luke.

Mathieu pointe un index dans la direction du parolier.

— Pas de messes basses, MacSaturn !

L'interpelé lui répond par un sourire provocateur et pose son livre sur la table. Je me penche pour en lire le titre. MacBeth, de Shakespeare, évidemment.

— Ça ferait pourtant une excellente chanson ! Imaginez : l'impossibilité d'être ensemble, deux clans opposés, celui des boissons et celui des biscuits ! Deux maisons maudites qui s'affrontent ! On pourrait presque en faire un remake de Roméo et Juliette !

— Une ballade relatant un amour impossible, répète Caitlin, plongée dans ses pensées. Ça me donne une idée ! Freddie, Mike ! Vous êtes des génies ! s'exclame la jeune femme.

— A ton service, ma sœur, répond Freddie, non sans avoir haussé des sourcils railleurs en direction de notre manager, qui se contente de marmonner quelque chose à propos du fait qu'il a toujours détesté les élèves insolents.

Freddie se contente de ricaner. Depuis ce matin, nous nous sommes enfermés tous les neuf dans un studio pour écrire. Mais rien n'a abouti, comme si nous avions perdu notre capacité à composer. En ce qui me concerne, mon cerveau est aussi vide qu'un atome. Rien ne sort, comme si j'étais bridée et que ma musique était enfermée dans une pièce secrète dont j'ignorais le lieu (et dont je n'avais pas la clé non plus).

Quelques ébauches de textes étaient apparues, ainsi que des bribes de mélodies, mais il n'y avait rien de concluant. Il fallait dire que c'était la première fois que Sad Joy n'était pas livré à lui-même.

Caitlin se lève et commence à faire les cent pas dans la pièce exiguë où nous sommes, laquelle fait office de salle à manger puisqu'elle contient uniquement une table sur laquelle nous avons mangé ce midi.

— Je suis certaine qu'il y a un truc à développer, avec cette histoire d'amour impossible.

— Halsey l'a déjà fait avec son album hopeless fountain kingdoms, rappelle Luke d'un air absent. Il nous faut un autre concept.

Mais Caitlin ne paraît pas l'avoir entendu : elle continue d'arpenter le mince espace, perdue dans un monde qui n'appartient qu'à elle. De là où je suis, je peux l'entendre distinctement fredonner une mélodie. Une mélodie qui sent les cendres.

— On en revient à mon idée de chercher un thème autour duquel vous pourriez écrire, intervient Mathieu, me tirant de mon début de réflexion. Vous n'avez pas encore des morceaux que vous avez écrits ?

Je grimace. J'ai passé une année entière sans toucher à ma guitare, après avoir obtenu mon baccalauréat. Alors non, je n'ai plus rien, mes autres chansons dépeignant bien trop en détails la façon dont Luke avait pu me blesser par le passé (et ramener ce sujet depuis longtemps enfoui est inenvisageable) ou la mort de Solange. Et un seul regard aux trois membres de Dark Fate suffit à me faire comprendre que je ne veux pas dévoiler ces chansons au monde entier. Pas maintenant.

Luke secoue la tête.

— Elles sont trop vieilles et pas franchement intéressantes.

— J'ai peut-être une idée, s'immisce Freddie en frottant le piercing qu'il portait au nez. Mais je vais avoir besoin que vous m'accordiez un peu de temps pour que j'arrive à la transformer en un morceau entier.

Le temps d'une chanson (3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant