⇝ Chapitre 63 ~ Alice

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La journée avait été parfaite du début à la fin, d'une part parce qu'il avait plu à Delphes toute la journée et pas à Galaxidi et qu'elle avait pu profiter de la mer, et d'autre part parce qu'elle avait pu passer la journée loin de la villa, où elle trouvait l'atmosphère étrangement pesante. (Emmy pouvait bien fermer les yeux si elle le voulait : la situation entre elle et Freddie crevait les yeux et tout le monde se demandait comment cela avait pu déraper si vite.) Mais elle avait bon espoir que l'abcès disparaisse bientôt. Ils resteront cordiaux et probablement amis, et cela deviendra bien vite de l'histoire ancienne. Son pessimisme vient probablement de Kit, mais comme il connaît par cœur Freddie, elle a fini par admettre qu'il a raison.

Mais surtout, la journée a été parfaite car elle l'a passée avec Kit dans un endroit magnifique, où personne ne les a reconnus et où l'eau était aussi bleue que dans un lagon. Il s'était montré prévenant, agréable et ravi toute la journée, ce qui l'avait rassurée sur un point : il était aussi heureux qu'ils passent du temps tous les deux. Pour la première fois, elle avait remarqué que le soleil était plus brillant en sa présence, qu'il se reflétait dans son visage quand il souriait et qu'il était tout aussi chaleureux que l'astre. Alice s'était sentie à l'aise toute la journée. Elle n'avait pas eu besoin de forcer la conversation ou les blagues, ou de se questionner sur ses gestes : tout avait été naturel.

De toute façon, il ne lui avait pas vraiment laissé le temps de s'inquiéter de son éventuelle exubérance : quand elle s'est mise à sautiller partout parce que Kit lui a proposé de faire du canoë et qu'elle s'est arrêtée net en bafouillant des excuses, elle s'est aperçue qu'il la contemplait d'un air attendri.

— Je ne t'aurais pas invitée si ce genre de choses ne me plaisait pas chez toi, avait-il déclaré avec douceur et bienveillance. Alors, ne te bride pas à cause de moi. Au contraire, sois toi-même ! Tu es encore plus belle quand c'est le cas.

Elle avait rougi et lu dans ses yeux qu'il ne mentait pas. Il la trouvait réellement attirante pour tout ce qui faisait d'elle Alice Dicfem. Sur le moment, cela lui avait paru irréel. Mais la suite de la journée l'a été tout autant. La matinée sur le canoë l'avait épuisée, mais elle avait tellement apprécié les embruns marins sur son visage et ses cheveux abandonnés au vent, que la fatigue avait vite été remplacée par de la gratitude.

Après avoir mangé dans un restaurant qui proposait tout un tas de poissons et de fruits de mer (Alice s'en était donnée à cœur joie, ignorant soigneusement les conseils que lui avait prodigué sa mère dès son plus jeune âge, à savoir de ne pas manger comme quatre quand on est invité quelque part, mais comme elle avait dit à Kit le matin même qu'elle tenait absolument à lui payer le restaurant, elle avait décrété que ces conseils désuets s'appliquaient encore moins d'habitude à sa situation), elle et lui avaient visité le musée maritime de la ville, avant de finalement se rendre à la plage.

Et pour la première fois, elle avait rougi quand elle avait retiré son short et son teeshirt pour ne garder que son maillot de bain. Elle n'avait pas anticipé qu'elle se sentirait embarrassée par ça, bien que Kit ne l'ait pas contemplée plus que d'habitude, puisqu'il était en train d'essayer de ne pas se brûler les pieds sur le sable, qui, Alice devait bien l'admettre, était aussi brûlant qu'une fournaise. Bref, elle s'était moquée de lui et avait couru dans l'eau avant qu'il n'ait le temps de se venger en la poussant dans la mer.

Le cœur aussi léger qu'une feuille d'été abandonnée sur un lac, elle s'était dit que si c'était ça le bonheur, elle comprenait pourquoi certains vendraient leur âme à un démon pour en avoir une goutte. Ses problèmes de la veille lui paraissaient bien loin, minuscules, aussi gênants qu'un grain de poussière caché sous un livre. Elle avait besoin de cette parenthèse enchantée, de sentir le vent sécher les gouttelettes laissées par la mer sur ses joues, avec en fond le doux fracas des vagues sur le sable, rapportant coquillages et autres trésors oubliés des fonds marins.

Le temps d'une chanson (3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant