Je sursaute quand j'entends la voix de Freddie devant la porte. Qu'est-ce que Luke a bien pu lui dire, pour qu'il vienne si vite ? En tout cas, au vu de ce que vient de crier Alice et de ce que le parolier vient de lui répondre, il a dû lui confier pour sa maladie. Je me lève d'un bond du lit de Luke, prête à aller à mon tour dans le couloir, juste au moment où la porte s'ouvre sur Freddie, sous les protestations de Mike.
Je me fige, alors que sa silhouette se dessine à l'entrée de la chambre, pâle et alourdie par le poids de la culpabilité, qu'il porte depuis dix ans maintenant. Tous les mots que je voulais lui confier, tous les vers que je me sentais prête à déclamer, toutes les chansons que je voulais lui murmurer à l'abri des étoiles s'effacent aussitôt de mon esprit pour ne laisser qu'un gigantesque abysse.
La porte se referme dans un claquement sourd. Les paroles de mes amis, dans le couloir, n'appartiennent plus à ce monde et ne sont qu'un lointain bourdonnement, que l'on pourrait confondre avec un orage éloigné. Alors que je croyais ne plus avoir de larmes, mes yeux me piquent comme s'ils allaient déborder.
Il m'observe simplement d'un air désolé. Pendant un instant, j'imagine qu'il est venu me trouver pour m'avouer qu'il veut bien nous laisser une chance, qu'il regrette de m'avoir éconduite encore une fois et qu'il se repentit aussi des autres et qu'il accepte que je lui donne ce qu'il mérite tant, mais sa posture identique à celle qu'il avait toute à l'heure – grave et suintante de chagrin et de culpabilité – montre la bêtise de ma rêverie. Je garde mes yeux plongés dans les siens, même s'ils me désarçonnent encore.
— Tu as déjà perdu quelqu'un à qui tu tenais, commence-t-il d'une voix rauque. Tu sais exactement ce qu'on éprouve. Et pourtant, tu serais prête à revivre ça.
Il ne me demande pas si je vais bien. Il connaît déjà la réponse. Je ne réponds rien, trop effrayée par les mots qui sortiraient de ma bouche si je perdais le contrôle. Il fait un pas vers moi et je lutte de toutes mes forces pour garder contenance.
— Je dois avouer que je ne comprends pas, poursuit-il. Mais peut-être caresses-tu l'espoir que je guérisse un jour ?
Je déglutis mais n'ose toujours pas prononcer le moindre mot. Mon silence est une réponse, en somme. La réponse qu'il redoutait. Je le vois à ses épaules qui s'affaissent. Je peux presque entendre le craquement de ses os quand un poids supplémentaire s'ajoute à ce qu'il subit déjà. Ne voit-il pas que je peux le soulager en en prenant une partie sur mon dos ?
Il soupire.
— Je vois. Laisse-moi te prévenir que ça ne sera sans doute pas le cas. Au mieux, on pourra ralentir la progression. Mais jamais effacer les dégâts qu'elle a causés, sauf si on fait des progrès dans la chirurgie reconstructive. Mais on n'opère pas quelqu'un qui pourrait disparaître du jour au lendemain alors que d'autres, appelés à une plus longue vie, en ont besoin.
— Quelle est l'espérance de vie pour ta maladie ? demandé-je, la voix fatiguée d'avoir tant pleuré.
Il hausse les épaules.
— Ça dépend la vitesse de propagation. Certains ont deux ou trois ans.
— Et toi ? Combien de temps on t'a donné ?
— Au maximum, jusqu'à mes trente ans. J'en ai vingt-deux aujourd'hui. En théorie, il me reste au maximum huit années à vivre.
— Ça te laisse le temps d'expérimenter pas mal de choses, non ? Et de peut-être permettre à ta mère trouver quelque chose qui prolongera ta vie, objecté-je.
A ses traits tirés, je devine qu'il ne partage pas mon avis.
— Tes amis tiennent vraiment à te protéger, reprend-il pourtant, ignorant mes mots. J'ai bien cru que je n'arriverai jamais jusqu'à toi. Ça me rassure que tu sois bien entourée. Je tâcherai de m'en souvenir, la prochaine fois que je me sentirai mal de t'avoir blessée.
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Le temps d'une chanson (3)
Teen FictionLivre 3 de la série « plume et musique » /!\ Il est nécessaire d'avoir lu les 2 premiers livres « La musique avant tout » et « Tout pour la musique » L'harmonie : des notes concordantes, des amours envoûtantes mais pourtant déchirantes. Alors qu'E...