PARTIE 8 : URANUS

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La chaleur de Londres, bien qu'étouffante, est moindre, par rapport à celle de Delphes. Freddie respire un grand coup l'air pollué de la ville où tout a commencé, mais rien ne saurait desserrer l'étau qu'il a dans la poitrine. Pas même elle. Car c'était la Vie elle-même qui l'avait placé là. Un froid et cruel rappel de la vérité qui le suivait partout tel un spectre. Parfois, il aimerait être plus que ce qu'il est.

Non, c'était depuis qu'il avait découvert avec effroi qu'elle l'aimait autant qu'il l'aimait, elle, qu'il avait eu envie d'être différent, d'être plus qu'une errance attendant la fin, d'être plus qu'une existence hantée et rongée par le monde et ses tortures.

Il était né avec des éclairs dans le cœur, de la pluie dans l'âme et des tempêtes dans l'esprit, dans un concert de douleur et d'espoir. Sa mère disait que la mort avait bien vite planté ses crocs dans ses poumons, l'étouffant à petit feu. Brisant ses étoiles. Piétinant ses fleurs. Détruisant ses palais. La mort s'épanouit dans son corps comme un nénuphar sur un étang.

— Qu'est-ce qui te torture comme ça ? interroge Kit, qui sifflote tranquillement à côté de lui.

— La vie, grommelle le chanteur.

— Oh, allez ! Ce n'est pas si terrible d'être en vie, tente de le dérider Kit. Fais-moi un beau sourire !

Sur ce, le jeune homme se rapproche de lui et lui tire le bras pour le passer autour de ses épaules. Freddie s'étrangle à cause du pic de douleur qui le traverse et fusille son ami du regard.

— Pardon, j'ai oublié que tu as fait une prise de sang ce matin, s'excuse platement Kit.

— Je croyais que mon humeur massacrante était suffisante pour te le rappeler ? s'exaspère le chanteur.

Mais il n'est pas vraiment énervé contre lui. La douleur est sa plus vieille amie.

A côté de lui, Jay soupire et les contemple d'un air à la fois las et amusé, presque indulgent, comme s'il était face à des enfants turbulents.

Freddie se frotte le bras en marmonnant que sa mère lui a peut-être pris trop de tubes. Elle était comme ça, elle faisait toujours tous les tests possibles à ses patients, et son fils n'échappait pas à la règle, même si ce n'était qu'un contrôle tous les cinq ans. Et de toute façon, c'est le tour de Kit demain matin : il aura tout le loisir de le taquiner plus tard. Les bilans sanguins n'attendent pas, même pour Kit et Jay.

— Arrêtez de vous chamailler. Tiens, regardez, ils n'ont pas encore enlevé l'affiche de l'EP de Sad Joy ! s'étonne Jay.

Freddie lève la tête vers l'endroit qu'il indique et se fige en apercevant sur le mur le visage imprimé sous ses paupières pour l'éternité, qu'il a appris par cœur dans l'obscurité, par peur de l'oublier. Il connaît parfaitement la courbe de ses lèvres, l'éclat dans ses yeux lorsqu'elle rit, l'inflexion que prend sa voix quand elle lui parle. Et l'affiche, bien que magnifique, ne rend pas suffisamment justice à la beauté d'Emilie. Même si ses yeux clairs ressortent autant que le bordeaux sur sa bouche. Et qu'elle regarde l'objectif avec détermination.

Quand elle lui avait déclaré avec force et conviction qu'elle se fichait de recevoir des messages haineux, qu'elle voulait être avec lui malgré tout, il avait ressenti tellement de fierté que son cœur avait bien failli exploser dans sa poitrine. Non, il n'a pas failli, il a explosé dans sa poitrine. Et les morceaux se sont encore émiettés quand il a réalisé qu'elle l'aimait trop pour l'oublier, que ce n'était pas juste un béguin passager.

Quand ses lèvres ont frôlé les siennes ce jour-là, il a cru mourir une première fois. Tout dans son être s'était enflammé, tant et si bien qu'il avait dû se détourner d'elle pour ne pas perdre les pédales. Et quand elle l'avait embrassé pour de bon, oh, au nom du ciel, elle l'avait embrassé, il s'était dit que cette fois, il pouvait mourir et rejoindre les enfers en se vantant d'avoir goûté au paradis.

Le temps d'une chanson (3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant