⇝ Chapitre 20 ~ Kit

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La neige épaisse tombe sur Londres, lorsque Kit sort de l'aéroport. Il s'arrête un instant et offre son visage aux flocons qui s'échouent comme des étoiles sur son visage. Malgré tout, il ne peut pas s'empêcher de claquer des dents : passer des quarante degrés de l'Australie au -5 degrés de l'Angleterre est une opération périlleuse. Il a déjà hâte de se blottir sous d'épaisses couvertures, dans sa chambre d'hôtel. (Il prend le train le lendemain pour rejoindre Manchester, où sa famille l'attend déjà.)

Dans la voiture, Freddie et Jay lui offrent un sourire fatigué. Tous trois ont bien mérité leurs vacances ! Freddie tourne son visage vers la neige qui s'abat sur Londres dans un tourbillon de flocons cotonneux. Kit sait déjà qu'il pense à la suite. A l'après. A leur prochain album. A leurs prochaines chansons. Il l'a déjà vu en travailler certaines, en a même déjà entendu quelques unes, et il admet que lui aussi, ne peut pas s'empêcher d'y réfléchir. Il pense toujours qu'un jour, tout cela va s'arrêter, et qu'il ne lui restera que le goût passé des souvenirs. Il aimerait bien être comme Jay, qui vit au jour le jour et ne s'inquiète pas de l'avenir. Il sait que le présent est tout ce qu'il a, mais il n'arrive pas à faire taire les incessantes petites voix qui lui répètent que tout est éphémère et qu'ils ne sont que des papillons qui meurent à la fin de l'été.

La route jusqu'à l'hôtel, ils la connaissent par cœur. Mais quand le chauffeur met son clignotant et tourne au mauvais croisement, Kit se redresse brutalement sur son fauteuil.

— L'hôtel n'est pas par là, si ? questionne-t-il à l'intention de Gemma.

— Non, en effet, répond leur manageuse, le nez vissé à son téléphone. (De là où il est, Kit distingue le nom de son époux.) On passe d'abord voir le label.

— Pourquoi ? questionne Freddie. Le chef tient à nous féliciter en personne ?

Gemma secoue la tête. Tous trois sont pendus à ses lèvres.

— C'est au sujet de Dark Dream, annonce-t-elle, d'un ton neutre.

Le visage de Jay se ferme.

— Oh, non, chuchote-t-il après avoir fusillé Freddie du regard.

Dark Dream, c'était le projet de Jay. Il avait souhaité créer son label, leur label, qui dépendait du leur. Seulement, il est compliqué de le développer si personne ne peut y signer un contrat. C'était pour ça que Jay cherchait partout des chanteurs, chanteuses et groupes susceptibles de signer chez eux. Mais c'était difficile de trouver quelqu'un – surtout que Freddie y mettait de la mauvaise volonté, il fallait bien l'admettre – et ils avaient été si occupés que Kit en avait oublié ce projet. Seulement, le prêt avait été fait et il fallait le rembourser.

— Ne vous avancez pas trop vite d'un côté ou de l'autre, je n'en sais pas plus que vous, annonce Gemma, le visage insondable. Soit il ferme, soit on a trouvé quelqu'un.

Jay lance un regard noir à Freddie, lequel se renfrogne. Kit ne sait pas comment se comporter. D'un côté, il sait que Jay tient à ce projet. De l'autre, il comprend Freddie (et Jay aussi le comprend, ils n'ont simplement pas le même point de vue et Kit est parfois obligé d'intervenir pour qu'ils ne se crêpent pas le chignon).

Kit choisit de rester silencieux. La tête lui bourdonne. L'avion l'a épuisé et le décalage horaire est difficile. Il ne se souvient même pas de comment il s'est extirpé de l'avion et s'est retrouvé dehors, à offrir ses joues et son front à l'air londonien.

Bref, quand ils arrivent devant le bâtiment, son humeur ne s'est pas améliorée et la neige non plus. Les routes sont déjà glissantes et Kit manque de peu de se casser une cheville en montant les marches glissantes du perron.

Le temps d'une chanson (3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant