La puissance de l'empire millénaire rayonnait sur tout le continent de Chimaera depuis aussi loin que remontaient les mémoires des anciens. Les origines de la fondation de ce territoire gigantesque s'étaient perdues au fil des siècles et des archives égarées, usées, ou perdues lors de malencontreux incendies aussi bien que de catastrophes naturelles imprévisibles.
Ce dont on était sûr et qu'on ne manquait pas de transmettre à travers les générations, c'était les légendes des héros glorieux ayant foulé le sol de cette terre ancestrale. Des héros parmi les hommes, bénis par les chimères sacrées et dotés d'un pouvoir sans égal dont ils étaient seuls porteurs. Chaque génération avait connu son élu, chacun détenant les secrets d'une force singulière dont la manifestation était toujours unique mais extraordinaire.
Les plus anciens réceptacles du pouvoir des chimères endossaient la responsabilité de guerres destructrices destinées à unifier la quasi-totalité du continent et à apporter la paix à la population de Chimaera. Les cicatrices d'un passé tumultueux étaient toutefois oubliées depuis longtemps, la prospérité régnait depuis de trop nombreuses générations successives pour que l'on se soucie encore de commémorer le sort des victimes d'une époque révolue.
Comme en réponse à cette accalmie prolongée, le pouvoir des chimères s'était lui aussi fait plus discret. Au fil des années puis des décennies, on entendit de moins en moins parler des nouveaux élus et de leurs pouvoirs aussi spectaculaires que terrifiants. Il semblait qu'en temps de paix, le pouvoir des chimères n'avait plus besoin de se manifester aussi souvent et qu'il s'étiolait dans une lente et inéluctable déliquescence vers l'oubli, peut-être jusqu'à disparaître un jour complètement.
Aujourd'hui, le sang ne coulait plus.
Aujourd'hui, l'empire millénaire était en paix avec ses rares voisins.
Aujourd'hui, la dynastie de l'actuel empereur Toa ne craignait rien sinon les vipères dissimulées trop près du trône pour pouvoir y discerner l'ombre de leurs crochets luisants de venin.
Située au cœur de l'empire, Bastis était une capitale lumineuse qui attirait les intellectuels et les artistes de tout le continent. Sa culture n'avait d'égal que la richesse de son architecture mêlant avec un talent admirable tradition et modernité. La symétrie était le maître mot d'une cité bien agencée, ceinte d'une épaisse muraille de pierre circulaire – qui n'avait pourtant plus qu'une fonction décorative depuis des temps immémoriaux – et organisée autour de son majestueux palais impérial.
Le palais de l'empereur Toa était haut de trois étages élégants, du plus large à la base jusqu'au plus discret à son sommet. Chaque niveau était surmonté de remarquables dougongs, des toits aux coins infléchis vers le haut, couverts de tuiles jaunes vernissées et soutenus par des piliers ainsi que des colonnes ornementées riches de couleurs. Au pied de l'édifice saisissant, une vaste cour offrait une esplanade idéale pour les cérémonies officielles aussi bien que pour les exercices quotidiens des soldats dont la caserne se trouvait à proximité immédiate.
Ce matin, comme tous les jours, les bruits de l'entraînement militaire résonnaient dans la grande cour du palais, rythmant les activités des uns et des autres. On percevait le choc des épées, des bâtons, la voix des soldats qui criaient pour se donner force et entrain. Le maître d'arme arpentait la cour en faisant claquer son fouet sur la terre battue, non qu'il s'en soit souvent servi sur les hommes et les femmes qu'il formait, la musique de l'outil suffisant généralement à stimuler les plus fainéants.
Depuis un balcon de l'aile ouest du palais, une jeune femme observait la scène avec envie. Elle portait un uniforme militaire elle aussi, un bandage faisait une timide apparition hors de sa manche droite tandis qu'une plaie pas encore cicatrisée barrait sa joue du même côté. L'amertume de voir ses camarades grimacer et transpirer sans elle dessinait un rictus difficile à réprimer sur son visage. Depuis quelques semaines, c'était fini pour elle l'entraînement au côté de ses troupes, elle n'avait même plus l'autorisation de dormir à la caserne comme tout soldat digne de ce nom. A son grand regret, on l'avait affectée à une nouvelle mission beaucoup moins glorieuse...
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L'Éveil des Chimères (Terminé)
Fantasy[Romance fantasy] La générale Saya D'Alma perçoit sa nouvelle affectation comme un déshonneur : enseigner les rudiments du combat à la frêle fille de l'empereur Toa n'a rien de glorieux à ses yeux. Toutefois, lorsqu'un coup d'état menace la paix dan...