Chapitre 16 - Pèlerins

229 47 57
                                    

Les trois voyageurs avaient été contraints de passer la nuit dans une vaste prairie au bord d'un ruisseau, à défaut d'avoir trouvé un meilleur abri dans les environs immédiats. Ils évitaient bien sûr de dormir à découvert quand ils le pouvaient, mais ils n'avaient pas eu d'autre option cette fois.

Saya effectuait son dernier tour de garde quand elle entendit un bruit de sabots au loin, approchant à pas lent mais régulier. Elle plissa les yeux pour mieux distinguer ce qui arrivait dans leur direction. A l'horizon, une petite carriole brinquebalante apparut avec les premiers rayons du soleil, et il ne faisait aucun doute que ses occupants les avaient déjà repérés car elle se dirigeait droit sur eux.

Taïk se joignit à la générale. Ensemble, ils allaient se rendre à la rencontre des importuns, l'épée dissimulée dans les replis de leur long manteau, avant que ceux-ci aient une chance de mettre le nez dans leurs affaires. La distance se réduisant, ils distinguèrent un gros cheval de trait pataud qui tirait laborieusement la carriole, et un homme vêtu comme un paysan tenant les rênes à l'arrière. L'attelage s'arrêta à hauteur des deux soldats et l'homme les salua d'un sourire sympathique.

— Bonjour voyageurs ! Le soleil nous fait la grâce de sa chaleur aujourd'hui, c'est fort réjouissant, n'est-ce pas ?

— Qu'est-ce que vous faites dans ces contrées reculées ? interrogea Saya, sur la défensive.

— Je m'appelle Hanneul et je me rends en pèlerinage au temple des Anciens avec ma famille, expliqua-t-il en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule.

Une femme et deux petites filles timides sortirent la tête à l'arrière de la carriole pour confirmer les dire de l'homme. Il expliqua ensuite qu'ils n'avaient presque plus d'eau et qu'ils se dirigeaient vers le ruisseau pour se ravitailler, sans aucune intention de déranger qui que ce soit.

— Vous aussi, vous êtes des pèlerins ? ajouta-t-il en descendant du véhicule.

— Oui, s'empressa de répondre le lieutenant pour devancer une réponse trop sèche de sa supérieure. Nous allons rendre hommage aux Anciens, en effet.

— C'est un voyage à faire au moins une fois dans sa vie, n'est-ce pas ?

— Assurément ! confirma Taïk avec un entrain exagéré.

Saya lui balança un coup de coude discret pour le faire taire, elle n'aimait pas se faire griller la priorité par un subordonné. Pour ne rien arranger, le lieutenant n'avait pas l'air très naturel avec son sourire figé, alors que techniquement il n'était même pas en train de mentir.

— Nous allons vous aider à remplir vos réserves d'eau et vous pourrez reprendre la route en un rien de temps, proposa la générale avec toute l'amabilité dont elle pouvait faire preuve afin de donner tort à son insolent subalterne.

Sans perdre de temps, le petit groupe se dirigea vers le ruisseau.

Tandis qu'ils étaient accroupis au bord de l'eau avec plusieurs récipients à remplir, des rires d'enfant s'élevèrent dans leur dos. Satine n'avait sans surprise pas eu la présence d'esprit de se faire discrète et était en train de courir et de s'amuser dans la prairie avec les deux petites filles du couple, pleine d'une énergie qui lui avait fait défaut les jours passés. Saya se massa les tempes avec résignation.

— Oh vous aussi vous voyagez en famille, remarqua Hanneul en regardant la princesse. Elle me paraît un peu grande pour être votre fille, non ?

— Non non, c'est ma... petite sœur, improvisa la générale prise au dépourvu.

— Je vois. Et votre mari...

— Cousin ! l'interrompit-elle un peu trop vigoureusement. On est seulement cousins.

— Tu devrais te détendre un peu, cousine, conseilla Taïk en lui tapotant l'épaule d'un geste amical mais exaspérant. Excusez-la, elle n'a pas trop l'habitude de fréquenter du monde...

Il adressa un petit sourire narquois à la générale qui lui retourna un regard mi-irrité mi-amusé. Le temps qu'ils finissent de remplir les gourdes, Satine s'était installée sur une nappe en compagnie des petites filles et de la femme d'Hanneul, elles mangeaient de la brioche et des fruits en devisant gaiement. Il était trop tard pour décliner poliment cette invitation à partager le petit déjeuner alors Taïk et Saya s'installèrent à leur tour sur la nappe. Le lieutenant se pencha à l'oreille de Satine pour lui expliquer brièvement quels étaient les nouveaux liens de famille que la générale venait de leur inventer.

— Vous êtes les premiers pèlerins que nous croisons sur la route depuis que nous avons quitté notre village il y a une semaine, fit remarquer Hanneul. Je crois que les gens ont renoncé à faire des offrandes au temple cette année parce qu'ils ne savent pas s'ils auront de quoi payer la nouvelle taxe de l'empereur.

— Une nouvelle taxe ? s'étonna Saya.

— Oui, l'empereur Hassama a annoncé une nouvelle taxe pour renforcer l'armée impériale.

— A peine arrivé au pouvoir, il ne pense qu'à la puissance de son armée. Voilà qui est prometteur... déplora-t-elle.

— Il paraît que l'empire va avoir besoin de défendre ses frontières bientôt, du côté de la Sumérie en particulier.

— Je ne vois qu'une raison pour laquelle il ferait ça, il prépare une guerre, siffla la générale entre ses mâchoires crispées.

— Je le crains, soupira Hanneul avec résignation. Heureusement, je n'ai que des filles et je suis trop vieux pour être rappelé sous les drapeaux. Et avec un peu de chance, nos prières et nos offrandes encourageront les Anciens à nous protéger.

L'homme tapota avec un large sourire la sacoche pleine de pièces d'or attachée à sa ceinture. Il était fier de parler de leurs économies de plusieurs années comme s'il n'avait pas du tout conscience du risque non négligeable qu'il y avait à se faire détrousser en chemin.

La seule chose positive à retenir de tout cela était qu'Hassama ne se sentait pas en sécurité sur son trône usurpé. S'il était prêt à vider les poches de son peuple pour renforcer l'armée, ça signifiait que l'idée d'une résistance organisée depuis l'étranger n'était pas qu'une utopie. La sédition allait bon train et le traître avait des raisons de trembler dans son joli costume impérial.

Après ce petit déjeuner partagé malgré tout dans la bonne humeur, Satine supplia la générale d'accepter de finir leur route en compagnie de cette charmante famille. Elle se sentait trop mal à l'idée qu'il puisse leur arriver un malheur si proche de leur destination finale. L'argument qui fit mouche fut l'idée percutante qu'ils passeraient plus facilement inaperçus dans un groupe plus nombreux de pèlerins. Depuis que le berger les avait dénoncés, leurs ennemis étaient à la recherche d'un petit groupe composé d'un homme et deux femmes. Brouiller les pistes n'était jamais une précaution superflue.

Satine sautilla de joie en obtenant l'autorisation de voyager dans la carriole en compagnie des fillettes et de leur mère, cette dernière journée de route serait plus agréable et plus confortable que d'habitude pour elle. Quant à ses deux protecteurs, ils suivirent docilement le petit convoi avec leurs chevaux, à l'affût d'un danger potentiel.

En milieu de journée, ils débouchèrent sur une petite route pavée, ils n'avaient plus qu'à la suivre pour arriver au temple tant attendu. Le voyage touchait à sa fin.



L'Éveil des Chimères (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant