L'Éveil des Chimères (Terminé)

Chapitre 7 - Mordre à l'hameçon

Abandonner la cité impériale alors que les jours les plus sombres de son histoire moderne se profilaient devant elle était un déchirement pour les trois compagnons de voyage. La générale serrait les dents à l'idée de ses anciennes troupes livrées à l'ennemi, trompées par leurs frères, forcées de se soumettre au traître Hassama. Avec un peu de chance, un nombre conséquent de survivants était sur les routes avec en ligne de mire le royaume voisin de Sumérie et l'idée d'une possible résistance à bâtir.

Les pensées de la princesse Satine allaient quant à elles à son père, qu'elle imaginait jeté au fond d'un cachot par son plus fidèle conseiller devenu son pire ennemi. L'envie de revenir à Bastis, forte du pouvoir des chimères, l'aidait à tenir dans cette épreuve difficile pour le moral.

Le lieutenant Osaki n'était en revanche pas tourné vers les malheurs du passé, la seule chose qui l'obnubilait était la sécurité de la princesse. Plus ils s'éloignaient de la zone de tension, mieux il se portait.

Les trois compagnons avaient chevauché toute la journée en direction du sud, ne s'arrêtant que pour laisser les chevaux se reposer et grignoter un peu du délicieux pain à la saucisse de madame Dasso. Ils auraient pu voyager plus vite et plus loin en empruntant les routes mais c'était bien trop risqué, mieux valait rester en retrait dans les forêts et la campagne reculée. La discrétion était pour eux l'assurance d'arriver à destination sains et saufs.

Le soleil était bas sur l'horizon lorsqu'ils s'arrêtèrent au bord d'un étang entouré d'arbres. Le lieutenant proposa d'essayer d'attraper du poisson en bricolant une canne à pêche de fortune avec une longue branche et un bout de ficelle ; si l'astuce fonctionnait, ça leur permettrait de faire durer plus longtemps leurs réserves de nourriture.

Pendant que les deux femmes préparaient leur modeste campement pour la nuit, il s'était installé sur un rocher au bord de l'eau. Près d'une demi-heure s'était écoulée quand Saya vint le rejoindre, s'asseyant auprès du pêcheur somnolent.

— Ça va ? demanda-t-elle en déposant une couverture à côté de lui en prévision de la nuit fraîche qui s'annonçait.

— Pas terrible, j'ai attrapé un seul poisson, et il est même pas assez grand pour nourrir un enfant.

— Je ne parlais pas de la pêche, rit la générale. Vous, comment ça va ? Vous n'avez presque pas parlé de la journée, je vous ai connu plus loquace.

Un petit silence s'installa, des ondulations se manifestèrent à la surface de l'étang mais en fin de compte aucun poisson ne mordit à l'hameçon.

— Ce n'est pas contre vous, générale, finit par expliquer le jeune homme. Je m'inquiète, c'est tout.

— Vous avez de la famille à Bastis ? Vous vous inquiétez pour eux ?

— Non, je n'ai plus de famille depuis longtemps, la détrompa-t-il.

— Quel est le problème alors ?

— Je ne veux pas remettre en cause vos ordres, générale, mais... je ne sais pas si c'est une bonne décision d'aller au temple des Anciens.

— Ce n'est pas ma décision, c'est celle de l'empereur Toa, et celle de sa fille également, rappela Saya.

— Je veux ce qu'il y a de mieux pour la princesse. Elle est sous ma garde depuis plusieurs années maintenant et je me sens responsable de ce qui pourrait lui arriver. Elle est si innocente, elle n'aurait jamais dû se retrouver dans pareille situation.