Chapitre 43 - Tout perdre

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La douleur lancinante dans sa tête fut la première chose que Taïk perçut en revenant doucement à lui. Puis un goût de poussière dans la bouche. Une quinte de toux le secoua. Il voulut essuyer la commissure de ses lèvres du revers de la main mais elles étaient attachées.

Ses yeux s'habituèrent peu à peu à la semi-obscurité. Il était recroquevillé dans la terre sèche qui entourait le village. Au loin, une colonne de fumée noire s'élevait vers les étoiles. Là où s'était trouvée l'auberge juste avant, il ne restait plus que des gravas carbonisés.

Toujours étendu au sol, le lieutenant tourna un peu la tête pour observer ce qu'il y avait aux alentours. Saya était assise à un mètre de lui, les poings liés par une corde, elle avait du sang sur le visage. Il sentait l'odeur des chevaux tout près et entendait la voix de plusieurs hommes sans les voir.

— On a perdu Ramona et Vito, râla l'un d'eux.

— On se partagera leur part de la récompense, ricana un autre.

C'était donc des chasseurs de prime qui voulaient les vendre à l'empire. Ils n'étaient finalement pas aussi en sécurité qu'ils l'avaient espéré en venant en Sumérie.

— L'avis de recherche ne précise pas s'ils sont voulus morts ou vifs, nota quelqu'un.

— Dans le doute gardons ces deux-là en vie, répondit un autre.

Ces deux-là ?

Taïk se redressa vivement mais un coup de botte dans la mâchoire le renvoya aussitôt à terre. Des taches sombres dansaient encore devant ses yeux quand les sabots d'un cheval frappèrent le sol juste devant lui. Quelqu'un le tira par le bras pour le remettre sur pied et lui ordonna de monter sur l'animal, sans toutefois lui détacher les mains. Nauséeux et blessé, il s'y reprit à plusieurs fois avant d'y arriver.

Une fois qu'il fut en selle, les hommes poussèrent Saya contre les flancs du cheval en lui demandant d'y grimper à son tour. Elle avait l'air moins déstabilisée que le lieutenant et prit rapidement place devant lui. En montant elle avait cherché le regard de son compagnon mais il semblait encore égaré quelque part entre inconscience et réalité.

Les chasseurs de prime, au nombre de quatre, montaient chacun un cheval et l'un d'eux tenait la longe de la monture qui transportait leurs prisonniers. Le petit convoi avançait au pas quand Taïk remarqua un sixième cheval à la suite de l'un des hommes. Personne ne montait l'animal, mais une grosse couverture semblait avoir été roulée puis jetée en travers de la selle. Une couverture de laquelle dépassait une petite main recouverte de suie.

— Sat... Satine... articula Taïk d'une voix prise de tremblements irrépressibles.

Saya s'adossa contre le torse du lieutenant pour le soutenir alors qu'il ne songeait qu'à s'effondrer.

— Tiens bon, implora-t-elle à voix basse. M'abandonne pas maintenant.

Taïk prit appui sur la jeune femme et ferma les yeux. Une chape de plomb coula sur lui et il sombra dans une semi-inconscience tourmentée.


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Le soleil était haut dans le ciel quand Taïk revint enfin à lui, il avait l'esprit embrumé comme s'il sortait d'un mauvais cauchemar. Mais le cauchemar était bien réel. Il avait toujours les mains liées sur ce satané cheval qui les conduisait lui et Saya vers les frontières de l'empire qu'ils avaient fui. Et la petite main inerte dépassait toujours de la couverture souillée...

— C'est vraiment Satine ? demanda-t-il d'une voix éteinte.

— Oui... répondit Saya en baissant la tête.

— Je crois qu'elle a utilisé son pouvoir, mais elle a dû perdre le contrôle...

— Si on avait été là... commença la générale pour finalement laisser sa phrase en suspens.

— Tu vas me dire que c'est de notre faute, qu'on n'aurait pas dû mélanger la mission et nos... jeux.

— Ce n'est pas ta faute, le corrigea-t-elle. C'est la mienne. Je n'aurais jamais dû me rapprocher de toi comme je l'ai fait, je me suis laissée distraire.

— Ne t'apitoie pas, répondit-il avec un petit rire cynique. C'est moi qui ai perdu les deux personnes les plus chères à mon cœur aujourd'hui.

Saya hésita, elle n'était pas tout à fait sûre d'être l'une de ces deux personnes, mais elle voyait difficilement de qui d'autre il pouvait parler.

— Tu ne m'as pas perdue, je suis toujours ton amie.

— Ce n'était pas ton amitié que je voulais, tu le sais très bien, rétorqua-t-il avec amertume.

L'ambiance devint glaciale malgré le soleil qui leur brûlait la peau, et plus un mot ne franchit leurs lèvres jusqu'au soir.


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L'Éveil des Chimères (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant